« Jungle rouge » film de Juan José Lozano et Zoltán Horváth (Suisse – Colombie) 

Dans la jungle colombienne, la plus vieille guérilla communiste au monde vit ses derniers instants. Raúl Reyes, numéro 2 des FARC, est tué dans un bombardement par l’armée colombienne et la CIA. Il laisse derrière lui un document inouï : dix ans de correspondance où se croisent tous les acteurs du conflit, témoignage d’une lutte acharnée pour la révolution.

Photo : Allocine 

L’histoire du film commence en 2002. Les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), avec vingt mille hommes armés grâce à l’argent du narcotrafic, contrôlent le sud du pays. Un territoire grand comme la France en forêt amazonienne. Malgré leur puissance de feu, la guérilla communiste est loin de prendre le pouvoir. Après quarante ans de maquis, ces paysans sans terre qui ont pris les armes dans les années soixante pour défendre leur vie dans un climat d’extrême violence politique avec des dizaines de milliers d’assassinats chaque année et de précarité démocratique, ne disposent plus du soutien populaire dont ils bénéficiaient auparavant. 

En cause, leurs méthodes de lutte révolutionnaire pour s’emparer du pouvoir qui sont devenues, au fil des ans, de plus en plus violentes : la destruction de villages dans des attaques meurtrières contre la police ou l’armée sur tout le territoire national et surtout une politique de prise d’otages à grande échelle. Des séquestrations contre rançon, ainsi qu’une centaine d’otages dits « politiques », des officiers de l’armée, des fonctionnaires de l’État et des figures politiques, dont la célèbre Franco-Colombienne, Ingrid Betancourt, que les FARC essaient d’échanger contre des cadres de la guérilla détenus en prison. 

Le commandant Raúl Reyes, numéro deux des FARC, est désigné pour s’occuper des négociations avec les instances politiques. Formé à l’école des cadres politiques de la République démocratique allemande dans les années 70, le commandant Raúl est un pur produit de l’école idéologique des FARC et son représentant le plus dogmatique. Dans son camp en pleine jungle, à la frontière équatorienne, il reçoit des journalistes du monde entier, des émissaires des gouvernements colombien, français, suisse, espagnol, vénézuélien… des partisans de la cause. 

Officiant comme le ministre des Affaires étrangères d’un état de la jungle, le commandant Raúl fait durer les négociations pour la libération des otages, convaincu que cela garantit aux FARC une présence médiatique internationale et, in fine, une victoire politique importante. De plus en plus isolé et déconnecté de la réalité, il ne se rend pas compte que la guerre fait rage et que la guérilla paysanne des FARC, qui défendait le droit à la vie et à la terre à ses débuts, est devenue une machine de guerre progressivement rejetée par le peuple. Finalement, il est tué lors d’une attaque menée par l’armée colombienne et la CIA en mars 2008. Sa mort crée une hémorragie au sein des FARC : tous les chefs historiques meurent ou se font assassiner dans les mois qui suivent et la totalité des otages sont libérés. Acculées, les FARC acceptent de se mettre à une table de négociations avec le gouvernement et déposent les armes en 2016 lors des Accords de paix de La Havane. Aujourd’hui, cinq ans après la signature des Accords, la Colombie s’apprête à élire le premier président de gauche de son histoire républicaine. 

Le réalisateur Juan José Lozano est né à Ibagué, Colombie en 1971, de nationalité suisse et colombienne. Dans les années 90, études de cinéma à l’université Nationale de Colombie et écriture et réalisation de différentes séries documentaires pour la télévision publique colombienne. Fin des années 90, Juan s’installe à Genève. Il se met alors à documenter la guerre civile qui fait rage dans son pays à travers des documentaires pour le cinéma et la télévision, primés en Suisse et à l’étranger. 

Depuis six ans, Juan José a commencé à travailler aussi en fiction avec la série en animation Sabogal pour la télévision colombienne, et Jungle Rouge, un long-métrage en animation qui sort en salle. Il nous donne ici quelques explications sur son film. « Raúl Reyes était un bureaucrate qui passait son temps à écrire et à faire des rapports explique le réalisateur Juan Lozano. C’est le journal intime de la gestion quotidienne d’une guerre avec son lot de problèmes logistiques : l’achat de médicaments, de munitions et de shampooing ; mais c’est aussi le journal intime d’un grand-père qui se préoccupe de sa famille. En compagnie de mon coscénariste Antoine Germa, nous avons étudié en détail ces milliers de mails, et très vite nous nous sommes rendu compte que nous étions face non seulement à un protagoniste de l’histoire colombienne récente, mais aussi face à un personnage romanesque. Un homme qui pouvait nous parler, dans l’intimité, de la condition humaine avec toutes ses contradictions et ses misères. »  

Pour montrer cette réalité, les auteurs ont choisi d’utiliser l’animation : « c’est qu’il fallait traiter la jungle non pas comme un décor mais comme un personnage à part entière qui évolue au fur et à mesure du film. Cette jungle est censée représenter l’état d’esprit de Raúl. Au début du film c’est une jungle très clairsemée, ordonnée, presque belle. Puis elle va devenir de plus en plus envahissante, grouillante, glauque et maladive. Et enfin, complètement irréaliste et féerique. C’est pour cette raison que nous avons voulu rester dans un entre- deux d’un point de vue esthétique. Nous avons tourné dans un studio à Genève pendant cinq semaines avec les comédiens venus de Colombie. Nous les avons filmés sur un fond vert en suivant un découpage technique bien précis plan par plan, que nous avons fait au préalable avec Juan, le chef opérateur Denis Jutzeler et le chef décorateur Fredy Porras. Nous avons ensuite monté le film et c’est seulement une fois ce montage validé que nous avons démarré les travaux d’animation durant 10 mois. Nous avons traité chaque image explique Zoltán Horváth avec des outils de peinture, de filtres pour créer un univers hybride, un peu à l’image de cette jungle et à l’image de l’esprit de Raúl. » Seuls les rêves de Raúl sont en animation de papier découpé. 

Le film est passionnant et nous fait penser entre autres à Apocalypse now de Francis Ford Coppola quand Kunz (Marlon Brando) s’enfonce dans la jungle à en perdre la raison. Un film original présenté au Festival d’animation d’Annecy et qui sort en salle le 22 juin. 

Alain LIATARD 
et extraits du dossier de presse 

1 h 32min / Animation / De Juan José Lozano et Zoltan Horvath