« Tengo sueños eléctricos » de Valentina Maurel, un film d’apprentissage audacieux

Eva ne supporte pas que sa mère veuille rénover la maison et se défaire du chat, qui, désorienté depuis le divorce, pisse partout. Eva veut aller vivre avec son père, qui, désorienté comme le chat, vit une deuxième adolescence. Mais comme quelqu’un qui traverse un océan d’adultes sans savoir nager, Eva doit faire face à la rage qui ronge son père. Et qui la traverse, maintenant, elle aussi.

Photo : Allociné

Situé au Costa Rica, cet audacieux récit d’apprentissage raconte l’histoire d’Eva. Les efforts de la jeune fille pour s’émanciper mèneront à une terrible désillusion : son père, cet homme perdu et dysfonctionnel, est bien trop occupé à essayer de trouver sa voie pour s’occuper de sa fille. La réalisatrice dépeint ses personnages avec complexité et ambiguïté, se concentrant sur la mise en scène de leurs émotions pures. Elle montre un père qui oscille entre violence et tendresse alors qu’il est lui-même dans un élan de régression à l’âge adolescent pour réunir les pièces éparpillées du puzzle de sa vie, comme les vers d’un poème, et une jeune fille tantôt affirmée et vulnérable, une adolescente poussée à endosser trop vite des responsabilités qui dépassent son âge, « une adolescente qui découvre qu’il n’y a pas vraiment d’adultes autour d’elle. Elle est finalement presque plus lucide ou plus mature, presque plus armée pour la vie que les adultes qui l’entourent.

Mais poursuit Valentina Maurel, ce n’est pas un personnage innocent, ni la victime d’adultes malveillants. Eva sait ce qu’elle veut, elle saisit un peu ce qui est en train de lui arriver, même si elle n’a pas forcément le contrôle sur les choses. Mais je voulais parler de la façon dont la violence circule dans les familles, sans pour autant justifier le personnage. Il est aussi victime de la violence qui le traverse. C’était important pour moi de montrer aussi la violence comme un langage de l’intime, ça fait partie de la façon dont les personnages communiquent entre eux.  Je voulais parler de l’adolescence, sans édifier de frontière avec l’âge adulte. Que cette adolescente se rende compte que les adultes autour d’elle sont aussi des adolescents. Je ne voulais pas d’une histoire linéaire d’une adolescente qui devienne une adulte, mais plutôt parler d’adolescence comme de la découverte du fait qu’il n’y a pas de point d’arrivée en fait. »

Elle poursuit « Je voulais essayer de rester fidèle à la réalité, être dans un film qui s’autorise l’ambiguïté, raconter le réel dans ce qu’il a de compliqué à analyser dans l’instant présent. Qui ne permette pas d’émettre un jugement simpliste sur les personnages. Et puis en tant que cinéaste latino, je voulais raconter une histoire inscrite dans une classe moyenne urbaine, qui ne réponde pas à l’imaginaire européen du pays tropical où il y a forcément des histoires de drogues dans des quartiers dévastés, ou de réalisme magique dans la jungle. Je voulais m’autoriser une complexité et une intériorité, éviter l’exotisme. »

Les deux acteurs principaux, Daniela Marín Navarro et Reinaldo Amien Gutiérrez, livrent des performances remarquables. Par ailleurs, Valentina Maurel, qui est née au Costa Rica et qui a suivi des études de cinéma en Belgique, a très bien su filmer cette ville de San José au climat apparemment très calme. Le film a été récompensé par trois prix au Festival du film de Locarno : celui de la meilleure réalisation, de la meilleure actrice pour Daniela Marín Navarro et du meilleur acteur pour Reinaldo Amien Gutiérrez. Sortie le 8 mars.

Alain LIATARD

Tengo sueños eléctricos de Valentina Maurel (Costa Rica, 2022), 1h41′. En salles le 8 mars 2023.

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