Le nouveau président équatorien, Lenín Moreno, prêt à quitter l’axe bolivarien

Le nouveau président équatorien, Lenín Moreno, commence à prendre des distances avec le très controversé legs de son prédécesseur, Rafael Correa, qui n’a pas hésité à l’accuser de « déloyauté » et à écrire sur Twitter : La stratégie qui consiste à marquer ses différences non seulement est déloyal, mais aussi médiocre. Et Moreno lui répond : Syndrome d’abstinence: réaction provoquée par la suspension soudaine d’une substance génératrice d’assuétude comme le sucre, l’alcool, les drogues ou le pouvoir.

Pour comprendre l’actuelle relation entre les deux hommes d’État, il faut se pencher sur leur passé politique. Au contraire de l’attitude agressive de Correa, qui durant les dix années de son gouvernement n’a pas cessé de polémiquer avec l’opposition et les moyens de communication, Moreno semble vouloir initier une nouvelle période d’ouverture politico-sociale. Ainsi, lors de son discours inaugural du 24 mai dernier, il a manifesté son intention de renforcer et soutenir la réconciliation nationale. Lorsqu’il était le vice-président de Correa, lors de son premier mandat, Moreno, qui se déplace en fauteuil roulant à cause d’une paraplégie, a mené la campagne intitulée : Sourit Équateur, nous sommes des gens aimables. En 2013, après avoir quitté le gouvernement, il fut envoyé à Genève en tant que spécialiste en handicap et accessibilité auprès du secrétaire général de l’ONU. C’est à ce titre qu’il a été proposé pour le prix Nobel de la paix. C’est alors que Correa, président sortant à l’époque, prévoyant une déroute de son parti lors des prochaines élections a vu en Moreno l’incarnation du visage humain de la révolution citoyenne, et donc le candidat idéal pour lui succéder.

Mais le conflit éclata lorsque le nouveau président manifesta son intention de mener à bon terme ses promesses de campagne, surtout celle qui concerne le rapprochement entre gouvernement et l’opposition. En effet, très rapidement Moreno a entamé un dialogue d’amitié avec les moyens de communication, lesquels saluèrent élogieusement cette attitude en contraste avec le tempérament belligérant de son prédécesseur. Et pour montrer sa volonté de changer de style politique, il s’est réuni avec les dirigeantes de la Confédération des nations indigènes de l’Équateur (Conaie), laquelle avait manifesté violemment son opposition lors du gouvernement de Correa : Moreno a restitué aux indigènes deux sièges de leur organisation confisquées jadis par son prédécesseur.

Or, tout semble indiquer que la récente création d’une commission spéciale, destinée à enquêter sur les questions de corruption, est à l’origine du conflit. Les soupçons tombent sur les épaules de Jorge Glas, nommé vice-président par Correa, accusé d’appartenir à un groupe de fonctionnaires qui auraient reçu des pots-de-vin de la compagnie brésilienne de bâtiments Odebrecht. Aussi, une plausible coalition avec l’ex-président Abdala Bucaram, qui vient de rentrer à son pays après avoir vécu vingt ans d’exil – une fois prescrites les causes pénales initiées lors de son éviction en 1997 – a accentué le désaccord entre les hommes du parti Alliance Pays.

Le réaménagement politique que Moreno s’est fixé comme objectif répond sans doute à des impératifs sur le plan géostratégique régional, concernant l’élan de renouveau où semble s’orienter l’Amérique latine. D’où la nécessité d’intégration de l’Équateur dans un scénario marqué par une série de changements politiques transcendantales : le déclin dudit « axe bolivarien », l’échec de l’économie vénézuélienne, le triomphe du président Mauricio Macri en Argentine, le destitution de Dilma Rousseff au Brésil et la prévisible victoire du candidat conservateur Sebastián Piñeira aux prochaines élections présidentielles du Chili. Et pour poursuivre ses réformes, Moreno dispose d’une solide base monétaire grâce à la dollarisation instaurée en janvier 2000 par le président Jamil Mahuad et conservé par ses successeurs. Cette stabilité de la monnaie, laquelle épargna à l’Équateur du chaos où plonge actuellement le Venezuela, peut être considérée comme le point de départ d’un tournant majeur dans l’économie du pays.

Eduardo UGOLINI