Lorenzo Lunar est né à Santa Clara (Cuba) en 1958. Il a été sélectionné pour le prix Dashiell Hammett (meilleur roman noir en espagnol) pour son premier roman publié en France, Boléro noir à Santa Clara(L’Atinoir, 2009). L’auteur a reçu le prix Plume de Cristal en janvier 2013 à Cuba, qui récompense l’écrivain le plus lu de l’année écoulée. Leonardo Padura ou Daniel Chavarría ont précédemment remporté ce prix.
LE LIVRE : La vie est un tango
On n‘est pas à Buenos Aires, contrairement à ce que le titre pourrait faire croire, mais bien à Santa Clara, petite ville cubaine, représentative de la vie ordinaire dans les années 2000. Et pourtant le tango est bien là, sous la forme d’une chanson interprétée par Roland Laserie, boléro inspiré d’un tango… Si on ajoute que la première page, espèce de poème désabusé des activités dominicales d’un quartier « difficile » de la ville fait penser à un superbe poème du Brésilien Vinicius de Moraes, on a là un résumé d’Amérique latine, avec ses différences et son unité, malgré tout.
Le narrateur, Leo Martin, est un flic qu’on vient de nommer dans ce quartier défavorisé de sa ville natale où il connaît beaucoup de monde. Il promène sur ce monde familier un regard désabusé, nous raconte des bribes de vie d’une voisine, d’un cousin, d’un collègue. Et ces morceaux de vie font l’essentiel du roman, l’enquête policière, qui est bien présente, n’est au fond qu’un fil qui sous-tend le récit, comme dans tout bon roman noir.
Un jeune homme est tué au moment où Leo Martin est chargé d’une enquête sur un trafic qui semble se développer dans le quartier. Curieusement, on se met à vendre des lunettes de soleil de contrebande, mais dans un pays où tout est vente illicite, est-ce si important de lancer la police sur une marchandise aussi anodine ? Leo Martin obéit aux ordres mais se pose la question. Et puis y a-t-il un rapport avec la mort violente du jeune homme ? C’est en parlant beaucoup avec les habitants du quartier, décrit comme un monstre qui utilise ses tentacules multiples pour arracher des têtes qu’il avancera dans ses recherches, mais surtout dans la découverte des habitants du lieu. Il en a vu beaucoup enfants, devenus vendeurs de drogue ou prostituées, il ne les juge pas, il constate froidement les dégâts provoqués par la misère, par le manque de compassion aussi. L’enquête avancera, bien sûr, mais pour nous c’est bien la découverte de vies sans espoirs, sans aspirations, qui compte. Il y a beaucoup de personnages secondaires, peut-être trop (on a parfois du mal à se rappeler une figure entrevue plusieurs pages plus tôt), peut-être y a-t-il aussi une accumulation un peu excessive de violences, de bassesses et de désespoir, mais c’est justement l’image que veut donner Lorenzo Lunar de la société dans laquelle il vit, celle qu’il connaît parfaitement et pour laquelle pourtant il n’éprouve pas de rancœur. Comme son personnage principal, il observe et nous transmet une vision qui n’est pas dépourvue de sentiments : Leo Martin souffre, sa vie sentimentale n’est pas un éden, il doit se battre constamment, par son métier, mais aussi tout simplement parce qu’il est un homme (il vit avec sa mère, qui est soutien pour lui) et que, comme pour chacun de nous, la lutte entre force et faiblesse est l’essentiel de son existence. Lorenzo Lunar réussit, avec La vie est un tango un de ces romans policiers de notre temps, qui est davantage un roman social qu’un pur polar, un roman qui fourmille de vie, même si le désespoir domine et finit par gagner.
Christian ROINAT – Espaces Latinos