Nouveau succès à Lyon pour le Festival Lumière 2022

Le Festival Lumière 2022 a remporté encore cette année un immense succès et a joué les prolongations jusqu’au 20 novembre. Tim Burton, qui a obtenu le prix Lumière, a été particulièrement ovationné et a permis au festival de s’ouvrir au jeune public. Citons les rétrospectives Louis Malle, Mai Zetterling, Sidney Lumet, Jeanne Moreau, Jerzy Skolimowski et beaucoup de trésors des cinémathèques. Le festival a montré que le public a renoué avec les salles.

Photo : Le Progrès 

Parmi les nombreuses projections, deux grands réalisateurs latinos son venus présenter leurs films qui ne seront hélas visibles que sur Netflix. D’abord Bardo, fausse chronique de quelques vérités d’Alejandro González Iñárritu. Un journaliste et documentariste mexicain de renom retourne dans son pays natal en affrontant ses origines, ses relations familiales, ses souvenirs délirants, ainsi que l’histoire et la réalité actuelles de son pays. Il faut savoir que le « bardo » dans le bouddhisme, désigne « un état [mental] intermédiaire entre la mort et la renaissance », on comprend alors mieux les errances du personnage, pris dans une sorte de spirale de réflexions et d’impressions, que magnifie la mise en scène d’Iñárritu.

« Le film est tourné à Mexico, a-t-il expliqué suite à sa projection au Festival Lumière  C’est la 1re fois que j’y retourne depuis Amours chiennes (Amores perros, 2000). Je suis parti en Californie avec un sentiment d’identité fracturée, de dislocation. Mes sentiments sont mêlés. Il s’agit d’introspection ou d’autofiction intime. J’ai le sentiment d’être un immigré ; l’absence cruelle de mon pays c’est faite ressentir. C’est la première fois que je m’essaye à un film sans structure. Il faut se laisser aller.  C’est une expérience sensorielle. Un rêve. » 

« Je n’aime pas tourner, c’est tortueux, difficile. J’aime l’intoxication de l’idée qui infuse. J’aime ma vie. Tout est pause et silence. Et puis, il faut vomir à un moment donné cette intoxication. Ce n’est pas moi qui choisis le film, c’est le film qui me choisit. Je revis dans la solitude du montage.- il a réduit le film de 22 minutes après sa présentation à la Mostra de Venise – Je n’aime pas faire la promo, c’est un moment délicat. Il y a un grand malentendu avec le plaisir de faire du cinéma. Ce qui m’intéresse, c’est la naissance des idées, puis leur sculpture. Le pire, c’est de rechercher les financements. » 

Bardo correspond, dans la philosophie bouddhiste tibétaine, à un état mental intermédiaire, qu’il est possible d’atteindre par la méditation, le rêve ou lors de la mort, quand l’âme se détache de l’enveloppe corporelle. Il s’agit ici des trois dernières minutes d’un journaliste mexicain venu recevoir son prix à Los Angeles. La figure dominante est le cercle et le labyrinthe. Le film débute comme Birdman (2014) par un plan-séquence virtuose, une scène de vol dans le désert, à nous faire revivre nos rêves d’envol. Et Bardo s’avère politique sous de nombreux aspects, qu’il s’agisse des questions de nationalité et de protectionnisme, de la nature fabriquée de l’Histoire, de l’agonie d’un pays où disparaissent chaque année des milliers de personnes, mais aussi de la relation de la télévision à des sponsors tout-puissants, ou de la méfiance généralisée envers les informations. Le film, qui est un peu le 8 et demi de son auteur, a été tourné en format  Imax et  présenté  par Netflix, il ne sera pas possible de le voir au cinéma en France. Sa vision sur un téléviseur à partir du 16 décembre fera perdre beaucoup de ses qualités.

Le cinéaste chilien Sebastián Lelio, à qui l’on doit deux magnifiques films, Gloria et Une femme fantastique a présenté son dernier film The wonder, qui se déroule en Irlande au XIXe siècle et à nouveau un beau portrait de femme. The Wonder raconte l’opposition entre une infirmière rationaliste (interprétée par la jeune comédienne anglaise Florence Pugh) formée aux soins modernes par Florence Nightingale, qu’elle a accompagnée pendant la guerre de Crimée, et une communauté qui veut croire aux miracles. Cette question de la foi est centrale dans le film, et Sebastián Lelio le signale d’emblée, dès la scène d’ouverture où le monde patriarcal est omniprésent.

« Il suffit d’une poignée de lieux de tournage, et de quelques plans de l’héroïne, rôdant autour de l’auberge du village, pour dresser un tableau saisissant du chagrin et du désespoir. Tous ceux que nous rencontrons sont accompagnés par un ou plusieurs fantômes de la famine, et il n’est donc pas étonnant que les gens soient désireux de croire aux rumeurs d’une fille qui n’aurait pas besoin de manger. La musique de Matthew Herbert, toute en percussions et voix, ajoute au sentiment d’être entouré d’âmes perdues », de même que la photo  du directeur de Jane Campion.

« Le roman d’Emma Donoghue, The Wonderdéclare  le réalisateur, m’a semblé un merveilleux territoire pour explorer les mécanismes de nos croyances. Qu’on peut aussi appeler les pouvoirs de la fiction. The Wonder raconte une guerre entre deux récits. D’un côté celui de la religion catholique, de l’autre celui de la science, que représente Lib, l’infirmière. L’enjeu de cette guerre entre deux versions de la même histoire, c’est une enfant dont le corps est censé survivre sans être nourri. Pour la sauver de la mort qui la menace, Lib va lui proposer une autre histoire encore, une fiction qui sera vitale. The Wonder est une exploration de la puissance des histoires. Celles que nous choisissons, celles dont nous héritons et que nous subissons. » Le film est visible sur Netflix.

Ces films posent le problème des relations entre le cinéma français (et sa chronologie des médias) et les plateformes comme Netflix qui produisent quelques grands cinéastes pour promouvoir leurs séries. Cependant, le Festival Lumière et ses nombreux invités ont redonné sans aucun doute le goût au cinéma en salle.

Alain LIATARD