Un public nombreux a suivi le dernier Festival international du film de Cannes

Après une sélection difficile parmi les vingt quatre films présentés pour la compétition officielle auxquels il faut ajouter une quarantaine d’autres dans les sections parallèles, les festivaliers ont dû faire leur choix à leur tour. Le festival s’est déroulé selon le rituel habituel avec une foule nombreuse sous le soleil.

Photo : Cannes 2022

La palme d’Or a été attribuée à Triangle of Sadness (Sans Filtre), réalisé par le Suédois Ruben Östlund. Il a été remis par Alfonso Cuarón et Vincent Lindon, président du jury. La presse est très partagée sur la palme, la seconde de son réalisateur. Signalons aussi le film français Les Pires de Lise Akoka et Romane Gueret qui a obtenu le prix Un Certain Regard. Après Mon pays imaginaire, le film de Patricio Guzmán, dont nous avons parlé dans la dernière newsletter, présenté en séance spéciale, ce sont quatre autres très bons films latinos qui ont été proposés.

Domingo et la Brume de Ariel Escalante Meza (Costa Rica)

La ville dans laquelle vit Domingo, 65 ans, est menacée par des voyous engagés par un promoteur pour expulser ses habitants et ouvrir la voie à la construction d’une autoroute. Mais sa terre cache un secret. Domingo est certain qu’il ne l’abandonnera jamais même si cela signifie recourir à la violence. Le refus obstiné du personnage à céder sa terre dépasse l’attachement sentimental. Il prend ses racines dans la mystique et l’inexplicable. C’est là que la brume prend toute son importance. Domingo ne vit pas sur n’importe quelle terre. Celle-ci ouvre le chemin de la réflexion sur la mort – et sur le lien que les vivants veulent ou croient entretenir avec elle. Le vieil homme est-il persuadé que sa défunte femme vient lui rendre visite chaque soir ? Sont-elles des hallucinations que nous serions prêts à partager avec lui ? Sa fille refuse obstinément de le croire. Pour elle, ce sont des histoires inventées par un homme qui tente de racheter ses fautes passées à l’égard de sa femme. Domingo attend sa libération. Allant au-devant de la mort, le héros rencontre la brume, et avec elle l’espoir de retrouver celle qu’il aime. Le cinéaste costaricien Ariel Escalante Meza compose une œuvre à l’atmosphère magique. Il s’est immergé dans l’ambiance de Cascajal de Coronado où a été tourné le film avec des acteurs non professionnels qui ont passé leur existence dans la peau des personnages qu’ils incarnent. La brume a été réalisée sans effets spéciaux, avec de vraies machines agricoles à brouillard. Un très beau film à découvrir. 

La Jauría d’Andrés Ramírez Pulido (Colombie) 

C’est un très curieux film colombien (coproduit avec la France) que nous a proposé la Semaine de la Critique de Cannes. Dans un camp expérimental pour mineurs délinquants au milieu de la jungle colombienne, trois adolescents récitent une étrange prière : « Tant qu’un homme ne se connaît pas lui-même, il ne peut pas connaître les autres et il est seul. À part ce qui nous réunit, où pouvons-nous trouver un tel miroir ? Rassemblés ici, nous pouvons exister simplement pour nous-mêmes. » Tel est le cadre étonnant de La jauría, le premier long métrage de Andrés Ramírez Pulido. Parmi les jeunes encadrés par un thérapeute, Álvaro, et un garde-chiourme armé, Godoy, se trouve Eliú qui a commis un crime avec un comparse, El Mono, qui arrive à son tour dans le camp. Il se définit lui-même, sur sa fiche d’admission, comme « voleur, escroc, bandit, assassin, drogué et criminel ».

En journée les jeunes nettoient la piscine, débroussaillent à la machette la propriété en mauvais état d’un riche propriétaire, ou ont des séances de yoga. Ils passent la nuit, enchaînés, à même le sol, dans un baraquement. Ils sont à la fois exploités économiquement et sensés se libérer de leurs énergies négatives et de leurs antécédents familiaux. Mais si Eliú tente de jouer le jeu, El Mono ne rêve que d’évasion et de retrouver la rue. Il se dégage de ce film une violence sourde, au goût amer de désespoir. Ce film, le meilleur latino de Cannes, a reçu le prix de la Semaine de la Critique et des auteurs (SACD). Pour un premier film, son scénario, sa réalisation et sa photographie sont remarquables.

Un varón de Fabián Hernández – Colombie

En Colombie, dans les quartiers tenus par les cartels, être un varón, autrement dit un vrai mâle, est nécessaire, si l’on ne veut pas être exclus de la réussite sexuelle et économique. Il faut pratiquer la violence pour être respecté dans le quartier ou simplement rester en vie. Carlos en fera l’amère expérience. L’adolescent vit dans un foyer pour jeunes adultes à Bogotá. Livré à lui-même depuis que sa mère est en prison, le jeune homme nourrit l’espoir de trouver une vie meilleure. Il veut d’emblée devenir un varón exemplaire. Se devant d’inspirer crainte et respect, le jeune homme soigne son apparence capillaire. Néanmoins, le déguisement ne prend pas. Carlos reste perçu comme l’antithèse du macho. Ni musclé, ni violent envers les femmes, n’aimant ni les armes ni les combats de coqs, il peine à incarner le modèle du « mâle ». Devenu dealeur, à la solde d’un des caïds du quartier, Carlos doit prouver qu’il est « un homme, un vrai ». On lui commande d’assassiner un homme s’il veut sauver sa peau. Ses difficultés pécuniaires l’obligent à incarner un rôle qu’il déteste, de même que sa sœur Nicole est obligée de se prostituer si elle veut simplement pouvoir survivre. La rue est devenue une véritable jungle où les cartels font la loi. Dans ces quartiers, l’État n’existe plus et les plus pauvres doivent devenir les esclaves des maîtres du coin. Cette douceur qu’il a en lui, Carlos devra-t-il l’abandonner ? Fabián Hernández a réalisé un bon film. Il a particulièrement soigné la photographie de ces quartiers pauvres qui subissant l’emprise des cartels.

1976 de Manuela Martelli, Chili

Sous la dictature de Pinochet : 1976. Carmen part à la plage superviser la rénovation de sa maison. Son mari, ses enfants et petits-enfants vont et viennent pendant les vacances d’hiver. Lorsque le prêtre du village lui demande de s’occuper d’un jeune qu’il héberge en secret, Carmen se retrouve en terre inconnue, loin de la vie tranquille à laquelle elle est habituée. Pour son premier long métrage, Manuela Martelli l’actrice – que nous avions découverte dans le film Machuca – raconte l’histoire de Carmen qui étouffe sous le poids d’une société dictatoriale. S’occuper d’un révolutionnaire va lui permettre d’entrevoir la réalité. Sa réalisatrice choisit une image saturée qui va s’éclaircir peu à peu. « Quand j’ai commencé à m’interroger sur ma grand-mère maternelle que je n’avais jamais rencontrée, explique Manuela Martelli, j’ai questionné ma mère et mes tantes, et j’ai découvert une femme très en avance pour son époque, mais qui, en même temps, n’avait eu que très peu d’espace pour exprimer ses intérêts, compte tenu du contexte social et politique dans lequel elle vivait. J’ai parlé à de nombreuses personnes qui l’avaient connue et je me suis rendu compte que c’était une réalité que subissaient la plupart des femmes de l’époque. Des femmes anonymes qui n’occupaient aucune des pages des livres d’histoire que j’ai étudiés à l’école. J’ai donc senti que je devais rendre justice à ces femmes et les faire sortir de l’anonymat. » Assis sur un scénario bien écrit, ce film rend hommage à ces femmes qui n’avaient pas le droit de s’exprimer.

À noter enfin le film espagnol Las Bestias de Rodrigo Sorogoyen, remarquable, et le film portugais Alma Viva de Christèle Aves Meira.

Nous reparlerons de ces films lors de leur sortie dans les salles françaises. Si le Festival a été bien suivi, il n’en est pas de même de la fréquentation dans les salles. Avec une baisse générale de fréquentation de 35 %, le cinéma perd beaucoup de ses spectateurs adultes. Et les jeunes ne se retrouvent pas dans la plupart des films qui leur sont proposés. Cela est vrai aussi bien des multiplexes que des salles d’art et d’essai. Les plateformes y sont pour beaucoup, mais pas que !

Alain LIATARD