« La fleur du Buriti », un film brésilien primé à Cannes 2023. Nous y étions…

De retour de Cannes, notre spécialiste cinéma nous propose un premier compte rendu sur le 76e festival en participant surtout aux sections parallèles où trois films latino-américains ont été sélectionnés. Dès la prochaine édition, il reviendra sur la suite de son compte rendu ainsi que les films en salle durant l’été. 

Photo : Cannes

L’ambiance du 76e Festival de Cannes  a connu un début effervescent avec la venue de Johnny Depp pour le film d’ouverture de MaïwennJeanne du Barry. Harrison Ford a reçu un accueil triomphal pour sa Palme d’honneur à l’occasion de son cinquième Indiana Jones. Le jury présidé par le réalisateur suédois Ruben Ŏstlund a attribué  la Palme d’Or au film français Anatomie d’une chute de Justine Triet, qui dans son discours de remerciement s’en est prise à la politique française sur les retraites et à la mise en danger de l’exception culturelle française. C’est la troisième fois seulement qu’une femme remporte la Palme. Elle devait lutter contre les Ken Loach, Wim Wenders, Kore-Eda, Nanni Moretti, et d’autres moins connus. Aucun film latino n’était en compétition officielle.

Trois films latinos abordaient les problèmes indigènes

Il y avait tout d’abord Crowrã, la fleur du Buriti (nom d’un palmier sauvage) de João Salaviza et Renée Nader Messaura (Brésil). Tourné en collaboration avec les habitants de la Terre Indigène de Kraholândia au Brésil, le film a été présenté à Un Certain Regard et a obtenu un prix pour sa qualité d’ensemble. Plusieurs personnages centraux sont joués par les gens de la communauté, dans un contexte largement documentaire. Le film veut montrer la façon dont les Krahô se perçoivent à la fois eux-mêmes et leurs ennemis, maintenant et à travers l’histoire. La durée et le cheminement du film permettent de rendre compte et de réfléchir sur ces manières, grandes et petites, que les Krahô ont développées, alors qu’ils sont poussés dans une assimilation qu’ils ne veulent pas. De superbes images montrent la beauté de la forêt, ses nombreuses couleurs, son rythme lent et sa chaleur, mais la force du film est telle qu’il devient finalement impossible de ne pas regarder ce bel endroit sans ressentir un réel sentiment d’urgence et d’alarme. Le film est tourné en trois parties : l’extermination par les colons hier, les pilleurs d’animaux aujourd’hui et la volonté du futur, à travers les yeux d’un enfant. 

Ensuite, nous avons Les colons (Los colonos) de Felipe Galvez (Chili). « Le problème, ce sont les Indiens. Ils mangent les troupeaux. Ouvrez-moi une route sûre et rapide vers l’Atlantique pour mes moutons. Et nettoyez ! » Nous sommes en Terre de Feu, en 1901, quelques ouvriers installent des clôtures dans une pampa déserte à perte de vue et José Menéndez propriétaire de toutes les terres avoisinantes jusqu’à plusieurs journées de cheval, confie une mission très spéciale à son homme de main, l’impitoyable lieutenant MacLennan lui adjoignant un mercenaire américain dont « on dit qu’il peut sentir un Indien à des kilomètres« . Le trio est complété par Segundo un jeune ouvrier métis, tireur extrêmement précis, et le voyage commence… Une chevauchée vers les confins du monde qui comptera son lot de cadavres au gré de très rares rencontres, des plaines aux forêts, du pied de la cordillère des Andes jusqu’à la mer. Heureusement le film se termine sept ans plus tard sur une enquête gouvernementale qui tente de remettre au pas les potentats régionaux… À découvrir !

L’Argentin Lisandro Alonso revient à Cannes avec Eureka, dix ans après un très beau film Jauja (2014). Au-delà d’un bref prologue en forme de pastiche de western, son objectif principal est de mettre en contraste et d’invoquer doublement la vie des indigènes aux États-Unis et au Brésil, en montrant comment de part et d’autre, il y a du rejet, mais aussi une tentative d’accepter la modernité. Le film est très confus et trop lent.

Levante (Power alley), premier long métrage de Lilla Halla (Brésil) a été présenté à la Semaine de la Critique. Sofia, une jeune de 17 ans d’origine afro-brésilienne, joue pour l’équipe féminine de volley-ball Capão Leste (du nom de leur région de São Paolo), où elle est sérieusement envisagée pour une bourse sportive qui changera sa vie au Chili. Découvrant bientôt qu’elle est enceinte, d’une personne qu’elle ignore, elle commence à rechercher des options d’interruption de grossesse. Elle se retrouve la cible d’un groupe fondamentaliste bien décidé à l’en empêcher à tout prix. Mais Sofia n’a pas l’intention de se soumettre.

Dans Les Délinquants (Los delincuentes) de l’Argentin Rodrigo Moreno , présenté dans la programmation Un Certain Regard, Morán, banquier désabusé de Buenos Aires, invente un plan sophistiqué pour cambrioler la banque où il travaille – mais pour ne voler que juste assez d’argent pour pouvoir prendre sa retraite confortablement. Son ami et collègue Román est entraîné par Morán qui exécute le vol, puis se livre à la police, sachant qu’il passera trois ans en prison et qu’il sera enfin libre à vie. Román, qui est marié à Flor se charge de garder l’argent caché jusqu’à la libération de son collègue et essaie de ne pas se faire prendre. Le film raconte la crise de la quarantaine de deux employés de banque d’âge moyen, qui ont soif de liberté, d’aventure et de créativité. Durant la première partie, le vol est très drôle et dure plus d’une heure. En tout le film dure trois heures, ce qui est trop.

Perdidos en la noche d’Amat Escalante (Mexique) était présenté à Cannes Première. Le film commence par une grève des mineurs. Une mère de famille se fait tuer. Trois ans plus tard, son fils, porté par un désir de justice et de vengeance, tombe sur un indice qui pourrait l’amener vers les responsables de la disparition de sa mère. Il y a de la force dans son silence et la manière dont il exprime de la colère, mais jamais d’espoir. C’est dans cet état qu’on le trouve quand il se porte volontaire pour un emploi dans la maison d’une famille riche, dont le nom lui a été secrètement communiqué. Au début, la famille semble parfaitement inoffensive, absorbée par les soucis du quotidien. Elle se compose de l’artiste provocateur Rigoberto, de sa pop star de femme, Carmen et de leurs jeunes enfants, et prise en sandwich au milieu, il y a Monica, une célébrité locale sur Instagram. « La région particulière dans laquelle l’histoire se déroule, Guanajuato au milieu du Mexique, explique le réalisateur, est violente et parfois pleine de tragédie. J’ai été attiré par cette idée de quelqu’un utilisant la tragédie comme source d’inspiration pour sa créativité artistique et, étant ceux qui ont le temps et l’argent, étant finalement aussi ceux qui peuvent raconter l’histoire de la victime. » Un film difficile à suivre.

Portraits fantômes (Retratos fantasmas) est un documentaire brésilien de Kleber Mendonça Filho, un voyage multidimensionnel dans la ville de Recife, capitale brésilienne du Pernambuco, à travers le temps, le cinéma, le son, l’architecture et l’urbanisme. Cette visite impressionniste qui associe l’archive, la fiction, l’extrait de film, les souvenirs personnels est à la fois une cartographie de la ville et un hommage à la salle de cinéma qui tout au long du XXe siècle a été ce lieu de convivialité, réceptacle des rêves, des espoirs et des émotions. Dans cette déambulation ludique, les individus se confondent avec les personnages, les lieux avec les décors, les paroles avec les dialogues. Portraits Fantômes met en avant, avec beaucoup d’humour, le rôle central des grands cinémas du XXe siècle dans la vie sociale et culturelle de Recife. Ces lieux de rêve et d’industrie ont été des espaces de convivialité et des témoins des changements de la société. 

Ajoutons Firebrand (Le jeu de la  Reine) du Brésilien Karim Aïnouz. Il s’agit d’un film anglo-saxon sur la fin de vie du roi Henry VIII. Même si l’on ne peut oublier Charles Laughton dans la version de 1933, ici Jude Law éructe, grogne, gratte sa jambe infectée, tyrannise sa femme Catherine. Un vrai plaisir de cinéma… Une foule énorme qui avait du mal à entrer en projection montrait que l’amour pour le cinéma dans les salles est revenu.

Alain LIATARD