L’AFRIQUE EN URUGUAY
UNE IDENTITÉ EN CONSTRUCTION

 

 

La dimension africaine de la politique extérieure uruguayenne, durant les trois gouvernements successifs du « Front uni » (Frente amplio-2005-2020), devait nécessairement commencer à la maison.

De fait pendant une grande partie de notre histoire de pays indépendant nous avons eu, en tant qu’Uruguayens, une vision de notre identité nationale, fondée sur le mythe d’une société homogène, égalitaire et orgueilleusement différente de ses voisins régionaux. Mais ce récit dominant et complaisant, synthétisé en formules du type, (Uruguay) « Suisse de l’Amérique », « Rien de pareil à l’Uruguay », et qui de toute manière intégrait les afro-descendants comme des « fidèles serviteurs », voire reconnaissait l’apport fait au pays, par quelques-uns d’entre eux à sa gloire footballistique et à ses traditions du carnaval, ne reposait sur des données, ni statistiques, ni sociologiques. Ce n’est qu’à partir de 2005 que les recensements et les enquêtes de foyers, ont intégré la variable ethnico-raciale, rendant visible ce qui jusque-là avait été caché et que l’on ne voulait pas voir : à savoir que les afro-descendants représentent 10 % du total de la population du pays. Et que dans leur grande majorité ils affrontent de gros handicaps et de douloureuses inégalités en ce qui concerne les indicateurs de bien-être économique, comme la couverture santé, la participation performante à l’éducation, l’accès à des emplois de qualité, à la protection sociale, à un habitat digne etc.

Considérant que les personnes afro-descendantes ont été tout au long de l’histoire du pays objet de multiples discriminations, et ont exercé leurs droits de façon limitée, le « Front uni » s’est fermement engagé à assurer l’inclusion de la population afro-descendante à tous les niveaux de la vie politique, économique, sociale et culturelle de l’Uruguay, comme un projet et un processus stratégique de la nation. Les gouvernements nationaux successifs (qui ont compté dans leurs membres pour la première fois dans l’histoire du pays, une présence afro-descendante), ont permis des avancées dans les domaines suivants : 

  • L’actualisation et la systématisation de données visibilisant les déficits signalés supra. L’examen des données 2017 permet d’en mesurer la dimension. Encore à cette date le taux de pauvreté constaté au sein de la population afro-descendante (de 17,2 %) est le double de celui de la part de la population non afro-descendante.
  • L’instrumentalisation du Plan National d’Assistance et d’Urgence Sociale (2005-2007), et du Plan d’Équité de 2008, visant à supprimer l’indigence, lutter contre la pauvreté, et réduire les inégalités, condition d’un pays intégré et incluant. Cette action a permis de 2005 à 2015 une réduction de la pauvreté multidimensionnelle de la population afro-descendante passée de 51,4 % à 20,5 %.
  • La présentation à partir de 2006 de rapports périodiques devant un Comité d’experts indépendants supervisant la mise en œuvre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination en vigueur depuis 1969. Procédure suivie par l’Uruguay de façon aléatoire jusqu‘en 1991, et interrompue ultérieurement. La constitution et mise en œuvre de la Commission consultative contre le racisme, la xénophobie, et toutes les formes de discrimination, créée par la loi 17817 de septembre 2004, qui a pour mission de proposer des politiques nationales et des mesures concrètes pour prévenir toute forme de discrimination.
  • L’approbation en août 2013 de la loi 19122 qui fixe des dispositions favorisant la participation de personnes afro-descendantes dans les secteurs de l’éducation et du travail. L’approbation de cette loi a marqué un jalon dans l’histoire de notre pays, compte tenu que pour la première fois l’État uruguayen reconnaissait de façon normative la discrimination dont avait été l’objet la population afro-uruguayenne. Son article premier en effet signale que « la population afro-descendante résidant sur le territoire national a été historiquement victime de racisme, de discrimination, de stigmatisation, depuis l’époque de la traite et du trafic d’esclaves, ces derniers points étant aujourd’hui signalés comme crimes contre l’humanité par le Droit international ». 
  • Dans le cadre de cette loi, l’instrumentalisation d’un éventail d’actions affirmatives, par exemple réserver 8 % des postes vacants ouverts à concours dans la fonction publique à des personnes afro-descendantes ou que 22 % des bourses accordées à des élèves du secondaire soient attribuées à des candidats afro-descendants (ce chiffre antérieurement dépassait à peine 1 % des bourses attribuées). La création par le décret du 18 mars 2019 du Conseil Consultatif National d’équité ethnico-raciale et afro-descendante ayant mission de conseiller l’autorité exécutive dans les domaines de sa compétence et de promouvoir la transversalité de la perspective ethnico-raciale et afro-descendante dans les politiques publiques.
  • L’élaboration et l’instrumentalisation du Plan National d’Equité Raciale et Afro-descendante 2019-2022 . Ce plan est le résultat d’un processus participatif et décentralisé de dialogue et de consultation entre acteurs de la société civile et instances étatiques. Il a les objectifs suivants :

Identifier, organiser et orienter les politiques publiques ayant comme finalité la promotion de l’inclusion économique, sociale et politique des personnes afro-descendantes au niveau national, plan doté de ressources et de priorités dans la gestion des organismes et institutions concernées. Promouvoir la participation sociale des personnes afro-descendantes là où elles vivent, via un dialogue avec les représentants des organismes gouvernementaux en général et du Conseil National d’Équité Raciale en particulier, pour générer une articulation interinstitutionnelle avec pour finalité la conception, l’extension, l’évaluation et la conduite de la politique publique en perspective ethnico-raciale.

Incorporer la perspective éthnico-raciale  dans les politiques, programmes et projets visant à éradiquer l’écart persistant lié à l’inégalité raciale, en établissant des objectifs et des indicateurs de gestion et processus permettant de mesurer dans la durée son applicabilité effective. De sorte que l’État uruguayen respecte les recommandations acceptées lors du dernier examen du CERD en 2016, et avance un peu plus sur la voie de la reconnaissance, de la justice, et du développement, indiqué par la Décennie en faveur des personnes afro-descendantes établie par l’Assemblée Générale des Nations Unies pour la période 2015-2024.

Il est certain que les avancées effectuées sur cette question de 2005 à aujourd’hui ne sont pas suffisantes, même si elles sont loin d’être insignifiantes. Les avancées constatées n’auraient pas été possibles sans la ferme conviction et l’engagement continu d’un large arc institutionnel et de personnes (dont bien sûr le mouvement social afro-descendant), avec l’appui des trois gouvernements successifs du « Front uni », pour lesquels, ainsi qu’avait coutume de le dire l’ancien chef du « Front uni», Président de la République à deux reprises, Tabaré Vázquez, « il ne suffit pas de décréter l’égalité de tous. Il faut aussi que cette égalité soit vécue. Cette égalité se construit jour après jour, collectivement. Nous y restons engagé. »

Ariel BERGAMINO
Ex-ministre délégué uruguayen
aux affaires étrangères
Ancien ambassadeur à Cuba