Les Chiliens se préparent à réécrire leur constitution pour transformer leur pays

Ce week-end, les Chiliens sont allés aux urnes pour une élection multiple : ils devront choisir les membres de la convention constituante qui rédigera la nouvelle constitution, remplaçant celle de 1980 du général Augusto Pinochet. Ils voteront pour les régionales et les municipales. C’est la première fois dans l’histoire du pays qu’un tel scrutin est organisé.

Photo : BBC

Ces élections sont l’issue de l’explosion sociale et des manifestations massives qui ont secoué le pays depuis fin 2019. Ce scrutin est aussi une première puisque les femmes sont représentées à égalité avec les hommes et que les peuples indigènes gagnent une meilleure représentativité. Le résultat de la méga-élection du week-end passé au Chili a eu l’effet d’une véritable secousse tellurique. D’abord, parce que l’élection de la convention constituante, a provoqué une tonitruante défaite du front uni Chile Vamos de la droite gouvernementale et de son ultra-droite. Ce front qui avait fait le pari d’au moins 45 sièges n’en a obtenu que 37 ce qui ne lui permet pas d’atteindre le tiers des membres de l’assemblée. Même dans le pire des scénarios, la droite n’avait imaginé ne pas obtenir le tiers des sièges lui ouvrant le droit au veto, véritable digue contre les changements. D’autre part la grande surprise est constituée par la force électorale des candidats Indépendants. Les Indépendants (méfiants envers les partis politiques) deviennent la première force politique nationale avec 48 sièges soit l’équivalent de 31 % de l’ensemble de la convention.

Qui sont-ils ces nouveaux rédacteurs indépendants ? Ils sont des simples citoyens : acteurs, écrivains, enseignants, universitaires, travailleurs sociaux, avocats, gens des médias, de la télévision, beaucoup ayant participé activement au grand mouvement social initié en octobre 2019 pour réclamer une société plus égalitaire. Comment se répartissent les membres de cette assemblée ? Des 155 candidats qui devaient être élus pour rédiger la nouvelle constitution du pays, 17 sièges ont été réservés aux peuples originaires. Les partis traditionnels de centre-gauche regroupés dans la liste Apruebo, obtiennent 25 sièges, ils sont les représentants de la Concertation pour la démocratie ou Nueva Mayoria ayant gouverné le pays avec des figures politiques tels que Patricio Aylwin, Eduardo Frei (DC) ou Ricardo Lagos et Michèle Bachelet (centre gauche), pendant plus de 20 ans depuis le début de la transition démocratique en 1990. Ce vote est pour eux une forme de sanction. 28 sièges pour la liste Apruebo Dignidad ou Frente amplio formée par des partis de gauche, écologistes et Parti communiste – vilipendé pendant toutes ces années. Cette coalition entend proposer un nouveau modèle pour le pays dans lequel différents droits sociaux seraient garantis : l’éducation, la santé, le logement ; ils souhaitent la réforme du système des retraites et ils devraient s’entendre avec une partie importante des Indépendants et sur certains grands sujets avec des élus de l’ancienne Concertation démocratique.

La configuration de la constituante donne donc une majorité à ceux qui ont manifesté leur engagement pour une véritable refonte de la charte fondamentale chilienne et pour un nouveau pacte social pour un pays plus inclusif. Selon le système politique actuel, la modification ou la rédaction de chaque article de la constitution requiert l’approbation des deux tiers du corps législatif et d’après les résultats de l’élection les secteurs favorables au changement ne devraient pas avoir trop de mal à s’entendre pour modifier la physionomie d’un des pays les plus inégalitaires. Daniel Jadue, candidat du Parti communiste à la présidentielle, se réjouit que « les secteurs qui cherchent à transformer le pays aient triomphé».

Sur 14,9 millions d’électeurs, seuls 41 % ont participé aux élections ce qui faisait craindre un triomphe des secteurs conservateurs. Mais, il faut préciser que ce pourcentage est plus élevé que celui de la dernière élection présidentielle – 36 % – qui avait porté au pouvoir pour une deuxième fois le président actuel Sebastián Piñera. Ce qui est clair maintenant est que les grands perdants de ce scrutin sont la droite et les partis traditionnels. L’échiquier politique chilien depuis ces élections est totalement bouleversé et le pays va traverser dans les mois à venir une situation inédite et complexe afin de parvenir par la réflexion, le dialogue et la confrontation à des accords pour assoir les bases fondamentales du nouveau pacte social. Viendront des jours intenses et difficiles, car le pays se prépare aussi pour des élections présidentielles et législatives à la fin de l’année et c’est cette semaine  que doivent s’inscrire les candidatures pour les primaires de juillet.

Au sein des partis d’opposition traditionnels – Parti socialiste (même s’il a réussi à gagner 15 sièges), Parti pour la démocratie et leur allié la Démocratie chrétienne le sentiment qui domine est la consternation. Le jadis important Parti démocrate-chrétien a connu sa plus grave défaite depuis 1957 : il n’obtenu que deux sièges au sein de la convention constituante. Ses militants ainsi que ceux de la Concertation démocratique devront comprendre qu’ils n’ont pas réussi à se défaire de l’héritage de la dictature et à se connecter avec les revendications de la majeure partie de la population. Ils prendront part à la rédaction de la nouvelle constitution mais avec une marge de manœuvre très amoindrie et ils ne pourront pas s’imposer car les forces plus à gauche et les Indépendants seront en position de force.

Bien sûr des accords transversaux devraient être envisagées car pour l’écriture du nouveau texte les décisions devront être prises à une majorité des 2/3 des voix. Depuis le palais de La Moneda, le président Sebastián Piñera s’est exprimé tard dans la soirée de dimanche, soulignant le caractère inédit du vote :  « Cette élection est historique parce que c’est la première fois que l’on vote pour une convention constituante paritaire entre hommes et femmes et avec la participation de nos peuples indigènes […] ». Sans reconnaître explicitement la déroute de sa coalition Vamos Chile, il a reconnu la défaite des partis traditionnels face aux Indépendants : « Lors de ces élections la population a envoyé un message fort au gouvernement et à toutes les forces politiques. Nous ne sommes pas suffisamment en phase avec les demandes des citoyens. Ce message clair exige du gouvernement, ainsi que de toutes les forces politiques traditionnelles, d’entreprendre une profonde réflexion. » Avant de conclure : « Le rôle des membres de l’assemblée constituante sera de créer un dialogue qui permette de se mettre d’accord afin de donner au pays une bonne constitution. »

Les rédacteurs et rédactrices de la nouvelle constitution disposent d’un an pour écrire le nouveau texte. L’année prochaine, il sera soumis à un nouveau vote par référendum. S’il est approuvé, le Chili abandonnera alors définitivement la constitution actuelle, celle qui a été écrite sous la dictature de Pinochet. « Le Chili est déjà un autre pays », écrit Ignacio Walker un politicien de la Démocratie chrétienne dans le journal El Mostrador. En se projetant sur les élections parlementaires et présidentielles prochaines, il fait le constat amer que les vieilles alliances politiques sont devenues caduques.  Le triomphe des candidats du Frente Amplio (Front élargi) – gauche et PC dans les municipales et régionales dans les quatre principales villes de la 5e région, dirigées par la droite : Valparaíso, Viña del Mar, Quilpué, et Villa Alemana, ainsi que l’élection d’Irací Hassler, jeune femme, militante du parti communiste, en tant que maire de Santiago, sont sans appel. Des candidats de la nouvelle gauche ou indépendants ont également été élus maires dans des communes importantes de la région métropolitaine. De plus la victoire des candidats de la nouvelle gauche dans les municipalités conséquentes de Maipú, Nuñoa et Estación Central, Recoleta, la placent comme un acteur politique de poids pour les prochaines élections présidentielles et parlementaires de novembre-décembre.

Une autre élection à relever, cette fois dans les régions, est celle de Rodrigo Mundaca, fondateur du Mouvement de défense pour l’accès à l’eau, la terre et la protection de l’environnement (MODATIMA) en tant que premier gouverneur de la région de Petorca au sud du pays. C’est un leader incontesté ayant reçu de nombreux prix et reconnu au niveau international. Rodrigo Mundaca et 109 des 155 membres de la convention constituante s’engagent à récupérer la gestion de l’eau des mains privées, à déclarer l’accès à l’eau comme un droit humain et à établir des règles pour la défense de l’environnement. De nombreux Indépendants sont des défenseurs de l’environnement dans leurs territoires.

D’après la chronique d’Ignacio Walker, les partis de droite et les partis traditionnels sont en train de régler la note d’un président et d’un gouvernement aux abois qui a mal géré la crise politique, sociale et sanitaire. Pour lui, Sebastian Pinera n’a d’autre choix que de tenter de maintenir son gouvernement jusqu’au mois de mars 2022. Nombreuses sont les voix qui aujourd’hui dénoncent l’indifférence du gouvernement face à la crise sociale et sanitaire provoquée par le Covid 19. Dans le nouveau scénario politique la grande interrogation est de savoir comment vont se positionner les alliances sans l’hégémonie de la droite et du centre. Les partis traditionnels devront définir qui les représentera lors des primaires de juillet car les personnalités déjà pressenties ne semblent plus valables. Le Chili a déjà changé.

Olga BARRY