La tournée européenne du président argentin, en croisade contre le système financier international

La semaine dernière, le président argentin Alberto Fernández était en Europe afin d’y rencontrer les chefs des gouvernements portugais, espagnol, français et italien ainsi que le Pape. Cette visite avait pour objectif officiel de créer un cercle du soutien autour du président dans les prochaines négociations avec le Fonds monétaire international et le Club de Paris. Le président s’est même réuni pour la première fois avec Kristalina Georgieva, la responsable du FMI. Une rencontre constructive et productive selon le principal intéressé.

Photo : L’Élysée

Alors que l’Argentine traverse une violente seconde vague de coronavirus (le virus y a déjà fait plus de 70 000 victimes), le président argentin concluait la semaine dernière une tournée européenne de plusieurs jours. Cette visite impromptue devenait urgente face aux prochaines échéances du pays dans le payement de sa dette. Car le temps presse : le 31 mai, l’Argentine est censée rembourser 2,4 milliards de dollars à ses créanciers du Club de Paris. Un montant que le pays sud-américain, en récession depuis plusieurs années, estime impossible à payer dans ce contexte de pandémie mondiale.

Le deuxième objectif de cette visite était d’obtenir une réunion avec la responsable du Fonds Monétaire International afin de pouvoir renégocier le payement du prêt de 44 milliards de dollars octroyé à l’Argentine en 2018, sous la présidence de Mauricio Macri. Selon les règles du FMI, les pays ayant contracté un gros emprunt auprès de l’organisme doivent payer une surtaxe aux intérêts du prêt qui, concrètement, triple le taux d’intérêt établi. Une mesure qui concerne quelques pays dans le monde tels que l’Égypte, l’Ukraine et l’Argentine, et que le ministre argentin de l’économie Martín Guzmán a qualifié de « politique régressive qui affecte les pays se trouvant dans les circonstances les plus défavorables ». Le payement de cette surtaxe a été suspendu par le FMI tout au long de la période de pandémie et le gouvernement argentin, avec le soutien de ses alliés européens, entend suspendre définitivement ce système.   

Une tournée en plusieurs étapes

Ce n’est donc pas un hasard si le président Alberto Fernández a entamé sa tournée européenne au Portugal, pays qui avait contracté un prêt auprès du FMI en 2011. Le Portugal s’était retrouvé face aux mêmes payements de surtaxe que l’Argentine, raison pour laquelle le premier ministre portugais Costa défend publiquement la fin de ce système. D’autre part, le Portugal assure actuellement la présidence du Conseil de l’Union Européenne tout comme l’Argentine celle du Mercosur, l’occasion pour les deux hommes de remettre au centre des discussions l’accord de libre-échange entre les deux blocs régionaux.

La tournée s’est poursuivi en Espagne, autre allié idéologique du gouvernement argentin dans la région et autre grand défenseur de l’accord UE-Mercosur. Le premier ministre socialiste espagnol Pedro Sánchez a confirmé l’intention de son pays de soutenir l’Argentine dans ses demandes auprès des instances financières internationales, mais également au niveau des investissements espagnols dans le pays. Quant à la brève rencontre à Paris avec le président Emmanuel Macron, elle a porté principalement sur la dette de l’Argentine auprès du Club de Paris.  

C’est dans la capitale italienne que le président argentin a terminé sa tournée sur les chapeaux de roues, avec au programme une rencontre avec le pape (très commentée, quelques mois à peine après l’approbation par le Sénat argentin de la légalisation de l’avortement) et une réunion décrochée à l’arraché avec la responsable du FMI. Au sortir de la réunion, la politique bulgare signala qu’elle avait « pris note de la demande du président Fernández de réformer la politique de surtaxe du FMI » et qu’elle « consulterait ses membres sur cette question ».

Un bilan contrasté

Après cette escale européenne de cinq jours, de nombreux commentateurs argentins s’interrogent sur les véritables raisons de cette visite. En effet, malgré le soutien de tous les chefs d’État rencontrés et la réunion avec Kristalina Georgieva, pour ce qui concerne le remboursement auprès du Club de Paris, le président argentin n’aura rencontré ni l’Allemagne, ni le Japon, principaux créanciers de la dette argentine à hauteur de 37 et 22 % respectivement.

Certains voient dans cette visite une façon pour le président argentin de se distancier des tensions politiques au sein même de son gouvernement. En effet, les fractures idéologiques entre le clan Fernández, jugé plus modéré, et le clan de la vice-présidente Kirchner[1], plus à gauche, à l’approche d’élections intermédiaires, se font de plus en plus ressentir. Et ce pouvoir bicéphale, comme le décrit l’essayiste argentine Beatriz Sarlo, commence à conditionner les négociations économiques internationales, en empêchant le pouvoir exécutif argentin d’établir une feuille de route claire sur sa politique économique pour les prochaines années.

Cette absence de stratégie à long terme oblige l’exécutif à la fuite en avant, emportant avec lui comme un fardeau cette question de la dette. Car finalement, la visite présidentielle s’est concentrée sur un sursis de quelques mois pour le payement au Club de Paris et sur la suppression de points de pourcentage des taux d’intérêt sur le prêt du FMI. Des détails symboliques, si on les compare avec les montants réellement en jeu. Si la critique du système financier international est aisée, une remise en question intégrale de la politique économique argentine est, elle, plus compliquée à mettre en place. Mais nécessaire si l’Argentine veut un jour pouvoir sortir de son état de perfusion constante, redonner confiance aux marchés internationaux et se débarrasser de cette épée de Damoclès qu’est la dette. Une partie de la solution pourrait bien se trouver dans les champs argentins. En effet, depuis quelques mois, le prix du soja à l’international est de nouveau à la hausse, ce qui entraînerait plus de liquidités pour l’État argentin. On ne change définitivement pas une équipe qui gagne.   

Romain DROOG


[1] Présidente de l’Argentine de 2007 à 2015.