Bois illégal du Brésil : un duel entre flic et ministre

Après la saisie d’un énorme chargement de bois illégal en Amazonie, la police a mené l’enquête et monté un solide dossier contre les responsables. Mais le ministre de l’Environnement, lui, n’a pas hésité à tenter de protéger les exploitants incriminés.

Photo : Amazonia Rota

C’était un jour de la mi-novembre 2020 en Amazonie, dans les moiteurs de l’État d’Amazonas. Une équipe de la police fédérale aperçoit par images satellite des mouvements suspects sur le fleuve Madeira, un affluent de l’Amazone. Un rapide survol de la zone confirme l’hypothèse : il s’agit bien d’un convoi de barges chargées d’on ne sait combien de milliers de grumes. Dépêchés sur place, des policiers spécialisés dans la traque de la coupe illégale de bois en Amazonie arraisonnent l’énorme cargaison et interrogent les responsables. Les chargements seront ensuite évalués à quelque 200 000 mètres cubes de bois, soit environ 65 000 arbres exotiques dans une zone pour partie protégée, où la coupe est interdite.

Le doute s’installe. La police mène l’enquête et remonte à la source, dans l’État voisin de Pará d’où provient le chargement. La valeur de ce butin est estimée à près de 20 millions d’euros. Les documents présentés par les pseudo-propriétaires ou du moins certains d’entre eux, la moitié n’ayant pu être localisés, sont faux. Le bois a été coupé illégalement, sur des terres souvent usurpées par la force ou des artifices frauduleux avec complicités locales. Les forces de l’ordre ordonnent la saisie et l’immobilisation des cargaisons et instruisent un dossier contre les propriétaires exploitants.

Alexandre Saraiva, le patron de la police fédérale dans l’Amazonas, relève une trentaine de délits et d’atteinte aux lois sur le patrimoine forestier du Brésil. Dans un premier temps, cette mémorable prise, la plus importante qu’ait connue la police fédérale en la matière, fait l’objet de louanges au sein même du gouvernement. Étonnante belle harmonie, la réputation du pouvoir brésilien en matière de protection de l’environnement en Amazonie n’étant pas précisément auréolée de vertu. 

Parodie de la protection 

Depuis plus de deux ans et surtout en 2019, lorsque le feu a ravagé sans répit, pendant des mois, de vastes zones de la forêt amazonienne, Jair Bolsonaro affronte les reproches de la communauté internationale pour son inaction. Le président n’a eu de cesse de prôner pour l’Amazonie pâturages et agriculture intensive pour, selon lui, le bonheur des populations indigènes. Dès son entrée en fonction en janvier 2019, il a pris des mesures qui entravent concrètement les opérations de surveillance des zones protégées de forêt primaire et exonèrent les propriétaires terriens de sanctions. Ces « propriétaires » sont fréquemment, en réalité, de vrais-faux propriétaires, un avatar dû à l’histoire agraire du Brésil qui opacifie les statuts fonciers. 

Toujours est-il que le 22 avril 2021, le président Jair Bolsonaro prend la parole lors du Sommet pour le climat réunissant quarante chefs d’État à l’initiative de Joe Biden. Il assure être « à l’avant-garde du combat contre le réchauffement climatique » et vouloir renforcer les mesures de contrôle et la lutte contre la déforestation. Il demande aussi un milliard de dollars d’aide financière internationale à cet effet. Dans les coulisses brésiliennes se trame pourtant une drôle de pantomime : le « super-flic » Alexandre Saraiva est démis de ses fonctions en Amazonie le 15 avril, soit le jour même où il dépose un épais dossier devant le Tribunal suprême, demandant l’ouverture d’une enquête contre le ministre de l’Environnement, Ricardo Salles, pour obstruction à la justice et à l’application de la loi, et tentative de couvrir des intérêts privés. 

Car le ministre en personne s’est mêlé de l’affaire du bois illégal : pour la minimiser et demander que la cargaison soit rendue aux propriétaires. Autrement dit, pour clore l’enquête et fermer les yeux, comme il l’avait promis quelques jours plus tôt aux entrepreneurs concernés lorsqu’il les a rencontrés. À l’appui de sa revendication, le ministre a inondé l’unité de police de documents censés attester de la bonne foi et du droit des exploitants à couper le bois. Alexandre Saraiva témoigne qu’avec son équipe, il a passé tout un week-end et ses nuits à essayer d’y voir clair dans la masse de documents envoyés par le ministre, avec quantité de doublons, précise-t-il, sans parvenir à une conclusion nouvelle. « Les preuves étaient sous mes yeux » [dans mon dossier] déclare-t-il à l’édition brésilienne du journal Deutsche Welle (1).

Un flic qui accuse

Selon Alexandre Saraiva, le dossier de la police sur l’extraction illégale de ce bois est irréfutable. Le commissaire déchu explique aux médias que la déforestation et l’exploitation du bois se sont est effectuées majoritairement sur des terres saisies illégalement par des « propriétaires » qui n’ont en réalité pas droit à ce statut. Ces exploitants sont pour l’essentiel des investisseurs fortunés qui ne sont pas originaires de la région amazonienne et n’y vivent pas. Ils n’ont par conséquent que peu d’expérience de la réalité du terrain ou du pointillisme des textes qui délimitent les surfaces. Ils n’ont pas non plus trop de préjugés sur la coupe de bois. Et d’ailleurs, les coupes ont eu lieu en partie sur des zones protégées où il est interdit d’abattre les arbres. 

Le 26 avril, Alexandre Saraiva a avancé ces arguments devant une commission d’enquête du Parlement brésilien. « Je n’ai pas peur de perdre la vie », a-t-il aussi déclaré aux parlementaires, en faisant référence aux menaces qu’il a reçues via des groupes Whatsapp. Reste la question des destinataires de ce bois illégal, qui part principalement à l’étranger, et notamment en Europe. Pour comprendre comment le délit peut être aisément répété, il faut s’interroger sur la législation européenne, plaide M. Saraiva. Cette législation sur l’importation de bois est bien moins pointilleuse que pour la viande, estime-t-il. Selon lui, la traçabilité depuis la coupe jusqu’au transport n’est pas assez rigoureuse et ne permet pas de valider la légalité de l’origine du bois. Un problème de certification qui transpose le débat de notre côté des frontières. À juste titre. 

Sabine GRANDADAM

(1) Voir site