Trouver le pli : « Plier bagage », nouveau roman du Mexicain Daniel Saldaña Paris aux éditions Métailié

Daniel Saldaña Paris nous propose un roman mélancolique et complexe dans son apparente naïveté. Le narrateur adulte, qui représente l’acte d’écriture et nous donne ainsi à la fois un aperçu de ses motivations et une piste interprétative, raconte son enfance à partir de ses dix ans, âge auquel il devra faire face simultanément à une énigme, un deuil et, sans encore le savoir, à un lourd secret qui ne se révèlera que vingt ans plus tard.

Photo : Éd. Métailié

La famille vit dans une maison de la Colonia Educación, un quartier de classe moyenne de la ville de Mexico. Il y a Teresa, la mère, intéressée par la littérature et la politique, laïque, progressiste et militante ; Mariana, la sœur, adolescente rebelle qui cherche sa voie et construit son indépendance ; le père, qui ne pèse pas lourd dans les affects de son fils, moins intelligent et plus rustique que la mère, borné et parfois violent ; el le narrateur, le fils cadet. Malgré certaines tensions, entre les membres du couple, la vie semble se dérouler agréablement jusqu’à ce mardi de juillet ou d’août 1994, où Teresa quitte la maison en laissant une lettre pour son mari, et ne revient pas. L’enfant, confronté à l’abandon et l’incompréhension, perd avec elle sa complice et son interlocutrice privilégiée.

L’enfant se réfugie donc dans le silence de sa chambre, dans le jeu des origamis, qu’il n’arrive jamais à réaliser correctement, mais qui lui apprennent l’art du pli, ses imperfections et ses subtilités. Il lit beaucoup, des romans de mystère où le lecteur peut choisir à chaque pas le cours de l’action et donc, la fin de l’histoire. Et il se cache dans l’obscurité de son placard, pour fuir un monde qu’il ne comprend plus. Le pli, l’énigme, le caché : trois mots clés dans la quête de l’enfant, mais également pour les lecteurs que nous sommes.

La suite sera le récit de sa quête frustrée de Teresa, qui inclut un long voyage initiatique vers le Chiapas du Colonel Marcos, auquel il n’arrivera jamais. En revanche, il prendra conscience des distances, éprouvera la fatigue, la faim, la peur des soldats. Il subira des attouchements et des moqueries à caractère sexuel, qui l’humilient et le traumatisent. Il ne retrouvera pas sa mère, mais rencontrera Marichonchi, une sorte de mère de substitution qui prendra soin de lui avec tendresse et lucidité, et appellera plus tard son père pour qu’il aille le récupérer.

La nouvelle, plus tard, de la mort accidentelle de Teresa à San Cristóbal, clôt définitivement l’enfance, mais son image sera toujours là lorsque la mémoire la convoque. Les tentatives pour dépasser ce noyau mélancolique lié à l’abandon de la mère s’avèrent infructueuses : sa solitude, ses intérêts, son imaginaire, sa différence ; tout en lui conflue pour en faire un looser. Il est harcelé par ses camarades d’école, écarté par le choix politique de sa mère, discriminé par ses manières, sans qu’il arrive à comprendre qu’elles puissent être efféminées. Adulte, il vivote, essayant de se maintenir le plus loin possible d’une réalité qu’il déteste. La mort du père, avec lequel il arrive néanmoins à parler avant la fin, porte avec elle une révélation qui brisera le fragile équilibre qu’il s’était péniblement construit. L’adulte auteur du roman que nous sommes en train de lire est quelqu’un qui vit reclus chez soi, qui ne se lève pas de son lit, qui essaie toujours, en écrivant, de comprendre ce qui s’est passé dans sa vie et celle de sa mère, et qui n’arrive pas à surmonter le poids du secret qu’il a découvert et qui l’oblige, lui et nous, à relire toute l’histoire.

Mélancolique, oui, mais aussi poétique et drôle à la fois ; plein d’imagination, de rêverie et de violence, le roman de Saldaña Paris recrée de manière exemplaire la vision enfantine du monde. Il décrit aussi bien le désarroi de l’enfant que son univers intime et les lignes directrices de sa vie : trouver le pli pour survivre, même s’il est toujours imparfait et si la symétrie est une aspiration impossible ; résoudre les énigmes obstinément et sans illusions, mais en sachant que sans la vérité la vie n’a pas d’assise ; dévoiler ce qui est caché, le secret de famille, qu’il faudra porter comme une croix et pour toujours. La quête de la vérité conduit à un mensonge, et l’écriture n’y changera rien. Pourtant, c’est grâce à elle que l’être se manifeste, et dans la prolifération de ses plis – des mots, des temps, des rêves, des absences, des doutes – la lucidité, la blessure la plus raprochée du soleil, selon René Char, n’est pas – ne peut pas être – une défaite : « De même que le pli, qui constitue le fondement de l’origami, repose sur une idée fausse, de même que le pli le plus intime de notre personnalité, le pli auquel nul n’accède, le pli de l’intimité –l’envers douloureux que nous cachons, que nous gardons comme une lettre secrète dans la table de nuit de notre vie- ce pli, disais-je est aussi une illusion d’optique, et en réalité nous n’avons pour toute essence que nos peurs, pour toute identité que nos frustrations, pour tout sens que nos sanglots dans la profonde nuit des temps.»   

Marián SEMILLA DURAN

Plier bagage par Daniel Saldaña París, traduit de l’espagnol (Mexique) par François Gaudry aux éditions Métailié, 190 p., 18 euros.