La diversité sexuelle et de genre aux temps de la nouvelle Constitution chilienne

La question de la diversité sexuelle et de genre se pose de plus en plus au Chili dans un contexte politique inédit. Le peuple s’apprête à aller aux urnes pour élire les membres de l’Assemblée Constituante qui soumettra une nouvelle Constitution en 2022. Nous proposons un rapide panorama du sujet enrichi du portrait de Felipe Pino Cifuentes, activiste LGBTQIA+ à Valdivia et candidat à l’Assemblée Constituante pour la liste Apruebo Dignidad Los Ríos, dans le district 24 au sud du pays.

Photo : Felipe Pino Cifuentes

Le Chili prépare activement l’élection des membres de l’Assemblée Constituante pour rédiger une nouvelle constitution, tirant ainsi – peut-être – un trait sur l’héritage de Pinochet. Occasion rêvée pour insuffler un renouveau dans un pays en proie au néolibéralisme et aux abus, c’est aussi le moment propice pour faire valoir des avancées sociales. Qu’en est-il de la question de la diversité sexuelle et de genre dans la société chilienne ? A-t-elle fait son chemin, du moins assez pour être inscrite dans cette future Constitution ?

Les dates clés de la diversité sexuelle au Chili

L’année 1999 marque le coup d’envoi du débat sur la diversité sexuelle et de genre au Chili avec la première victoire symbolique dans la lutte LGBTQIA+ : la dépénalisation de la sodomie. Avant cela, selon l’article 365 du Code Pénal de 1875, toute pratique homosexuelle était considérée comme un délit et ceux qui dérogeaient à la loi risquaient la prison. Les actions se multiplient lors de la première décennie du nouveau millénaire mais ne permettent pas la création d’un débat national sur la question. L’organisme Movimiento de Integración y Liberación Homosexual (Mouvement d’Intégration et Libération Homosexuelle) s’efforce dès 1991 à mettre sur le devant de la scène ces sujets trop souvent passés sous silence. Les quelques victoires, projets de lois, réincorporations d’étudiants et travailleurs discriminés sur leurs lieux d’étude et de travail sont balayés d’un revers de la main par le mutisme et la réticence des députés qui ne donnent aucune nouvelle protection légale à ces citoyens chiliens.

Il faudra attendre l’irréparable pour que la question LGBTQIA+ soit réellement médiatisée et débattue. Le 27 mars 2012, le jeune Daniel Zamudio meurt des suites d’une violente attaque homophobe perpétrée quelques semaines plus tôt à Santiago. L’émotion saisit le pays et c’est au prix du sang que le débat s’ouvre enfin. La Ley Antidiscriminación (Loi Anti-discrimination) est promulguée quelques mois après la mort de Zamudio, dont le nom inspirera le surnom populaire de ladite loi (Ley Zamudio).

Depuis 2012, un corpus légal se constitue petit à petit. En 2015, les unions civiles sont légalisées grâce à l’Acuerdo de Unión Civil (Accord d’Union Civile). Trois ans plus tard, en 2018, c’est la Ley de Identidad de Género (Loi d’Identité de Genre) qui est promulguée et qui reconnait et protège l’identité de genre – dès lors, tout citoyen dont le sexe et l’identité de genre ne correspondent pas peut demander une rectification auprès des organismes administratifs et judiciaires. L’orientation sexuelle et l’identité de genre sont considérées comme des catégories protégées de la discrimination dans différentes lois comme la Ley que permite la introducción de la Televisión Digital Terrestre (Loi qui permet l’Introduction de la Télévision Numérique Terrestre) de 2014 ou encore celle contre la torture de 2016. Le projet de loi concernant le mariage entre personnes du même sexe est en débat depuis 2017 et pourrait être adopté d’ici quelques temps. Cependant le chemin est encore long, le sujet divise. Les membres de la communauté LGBTIQA+ ne se sentent pas considérés par la Justice car beaucoup d’actes homophobes et transphobes restent impunis.

Portrait d’un militant pour la diversité sexuelle

Felipe Pino Cifuentes est né à Punta Arenas, en Patagonie. Arrivé à Valdivia en 2011 pour débuter sa formation en anthropologie, il s’engage très vite dans les manifestations étudiantes qui secouent le pays pendant plusieurs mois et réclament une université publique gratuite et de qualité dans un Chili post-Pinochet où l’éducation privée a été largement favorisée. À l’engagement politique s’ajoute l’année suivante l’engagement pour la diversité sexuelle et de genre. En 2012, Felipe Pino Cifuentes intègre Valdiversa, une organisation locale fondée peu de temps auparavant. Il est mû par la même ferveur que celle qui l’a animé l’année précédente lors du mouvement étudiant : dénoncer, agir, militer. Il nous confie lors d’un entretien : « j’ai tout de suite compris que si l’on ne peut pas vivre sa sexualité et son orientation amoureuse librement, il y a beaucoup plus de choses contre lesquelles lutter que de choses à fêter. »

Les révoltes qui éclatent le 18 octobre 2019 partout sur le territoire sont vertigineuses pour lui. Il en parle volontiers comme du moment le plus marquant de sa vie car il sent les siens unis, pancartes brandies dans la rue pour dénoncer un régime qui délègue aux acteurs privés les services publics. « Ça m’a ému de voir que, pour la première fois, les Chiliens, et surtout la classe populaire en souffrance, manifestaient tous ensemble. » 28 jours après le début des manifestations, le président Sebastián Piñera annonce la tenue d’un plébiscite pour répondre à une des demandes du peuple : la rédaction d’une nouvelle Constitution qui remplacerait celle de 1980, rédigée sous la dictature de Pinochet.

Les résultats du plébiscite du 25 octobre 2020 ne laissent aucune place au doute : l’Apruebo (le Oui) l’emporte avec un peu plus de 78% des suffrages exprimés et la nouvelle Constitution sera rédigée par une Convención Constitutional (Convention Constituante) sans parlementaires. Dès novembre, Felipe Pino Cifuentes discute avec ses camarades de lutte de Valdiversa après avoir participé à la campagne de l’Apruebo pour le plébiscite. L’enjeu est de trouver une manière pour représenter la communauté LGBTQIA+, grande absente des partis politiques. Ils décident d’allier leurs forces à celles du Parti Communiste et des partis de la nouvelle gauche nés des mouvements étudiants de 2011, et d’intégrer une coalition avec le parti écologistes et différents mouvements sociaux. Il devient officiellement candidat quelques semaines plus tard au sein de la liste Apruebo Dignidad Los Ríos[1].

Il explique son engagement en politique et sa candidature à l’élection des membres de l’Assemblée constituante en ces quelques mots : « Le Chili doit garantir les droits et le bien-être de tous, sans exception. La communauté LGBTQIA+ est discriminée mais ses membres sont des citoyens au même titre que les autres. Nous participons à cet évènement politique national parce que, en tant que citoyens, nous utilisons les mêmes systèmes éducatifs et de soin, nous avons besoin nous aussi des pensions. Nos demandes sont transversales et nous voulons travailler à ce que le Chili soit un meilleur pays pour tout le monde. »

Nina MORELLI

[1] Page officielle de la liste Apruebo Dignidad Los Ríos et page officielle de Felipe Pino Cifuentes

[1] Personnes Lesbiennes, Gays, Bisexuelles, Trans, Queers, Intersexes, Assexuelles et toutes les autres réalités de l’identité sexuelle et de genre