Voyage à la rencontre du cinéma bolivien et de sa médiathèque nationale

Enclavée dans un espace méditerranéen, et encore trop souvent considérée comme un espace de pauvreté et marginalité soumis aux aléas des révolutions et contre-révolutions, la Bolivie se trouve rarement sous les feux de la rampe européenne quand il s’agit de célébrer ses cultures, au-delà des grandes manifestations traditionnelles comme son fameux carnaval andin d’Oruro.

Photo : Alianza Francesa La Paz

En cette période de pandémie et de confinements, peut-être est-ce justement le moment d’en profiter pour se pencher sur le cinéma bolivien, encore trop peu connu et souvent référencé pour ses productions émérites, Vuelve Sebastiana, (Jorge Ruiz, 1953), ou encore Ukauma (Jorge Sanjines, 1967). Comme la société qui le voit naître, le cinéma bolivien se développe, il se démarque peu à peu des seules perspectives sociales ou ethnologiques, et se consolide en une industrie créative et durable qui rencontre un public de plus en plus large mais qui manque encore de reconnaissance internationale. 

Une récente coopération entre la Cinémathèque nationale de Paris et la Cinemateca nacional  (fondée en 1976 par Carlos Mesa, candidat malheureux à la dernière élection présidentielle) a permis de mettre en évidence un dialogue patrimonial que les spectateurs pourront encore découvrir sur le Facebook de la Cinemateca nacional, entre des œuvres de Henri Langlois et, par exemple le premier long métrage bolivien, Corazón Aymara (Pedro Sambarino, 1924) ou encore Wara Wara (Velasco Maidana, 1929) récemment restauré.

Mais c’est l’ouverture récente de plateformes officielles de promotion et diffusion du cinéma bolivien qui vont permettre aux amateurs de découvrir un cinéma moderne et attachant, qui oscille désormais entre des oeuvres d’auteurs aux références militantes et des comédies de société qui reflètent une nouvelle réalité bolivienne, empreinte de l´émergence de classes sociales d’origines indiennes, Zona sur (Juan-Carlos Validivia, 2008), d’un féminisme militant, Las malcogidas (Denisse Arrancibia, 2018), de revendications inclusives, Tu me manques (Rodrigo ellot, 2019), Sören (Juan-Carlos Valdivia, 2018), ou tout simplement de l’exaltation d’une société de consommation globalisée, Engaño a primera vista, (Yecid Benavides, 2017). Dans les cinq dernières années, ce sont ainsi plus de quarante longs métrages qui ont été produits et diffusés, avec l’aide de l’État, de son agence ADECINE et de son dispositif Intervenciones urbanas, mais aussi, fait nouveau, grâce à l’aide d’investisseurs privés, même si les coûts locaux de production demeurent assez bas.

Où et comment les voir ? 

Même localement, le public bolivien a peu de chance de découvrir ces films quelques jours après leur sortie en salle. Les meilleurs scores ont été atteints par Engaños a primera vista, 40000 entrées, Las malcogidas, 25000 entrées, ou encore Viejo calavera, 13000, (Kiro Russo, 2016) ou encore Averno, 10000 (Marcos Loayza, 2019), et on est loin des centaines de milliers d’entrées des blockbusters américains. Dans ces conditions, les initiatives locales de création de plateformes de diffusion répondent avant tout au besoin de créer une audience nationale, mais ces plateformes étant par nature accessibles par tous, elles peuvent également servir à l’internationalisation du cinéma bolivien. Nous en retiendrons deux, une bolivienne et une autre de plus ample spectre, colombienne.

Boliviacine (www.boliviacine.com) offre un catalogue payant (mais comment ne pas vouloir payer pour aider ce cinéma ?) d’une quarantaine de films, dont les récents et très beaux El Rio (Juan-Pablo Richter, 2018), Wiñay (Alvaro Olmos, 2019) ou La tonada del viento (Yvette Paz Soldan, 2019), le western bolivien Santa Clara (Pedro Antonio Gutiérrez, 2019), les ténébreux et oniriques Arverno (Marcos Loayza, 2018) ou Muralla (Rodrigo Patino, 2018), ou enfin le désormais classique (et très drôle) Mi socio (Paolo Agazzi, 1982) – dont la version 2.0 est désormais annoncée !-. Sans parler du terrible mais émouvant Cuando los hombres quedan solos (Fernando Martinez, Viviana Saavedra, 2019).

Retina latina est une plateforme colombienne qui propose un ample catalogue de films latino-américains dont celui d´Adecine, et dans lequel j’ai sélectionné La abuela grillo (animation, Denis Chapon, 2009), et enfin, pour tous les spécialistes que cette sélection pourrait ne pas satisfaire, je recommande le site référence encyclopédique sur le cinéma bolivien.

En 2020, plusieurs productions devaient voir le jour, dont au moins deux coproductions franco-boliviennes, La Loba, de Kiro Ruso, initialement filmé en 16mm, et 120 segundos sin sombra de Juan-Pablo Richter avec Géraldine Chaplin. Nous les attendons pour 2021, tout comme la dernière production du Maestro Jorge Sanjines que nous avons eu le privilège de découvrir en avant-première en projection privée sur la guerre du Chaco. À l’image de la société, le cinéma bolivien est en pleine effervescence. Comique, tragique, sensible, divers, il s’exprime en aymara et en quechua aussi bien qu’en espagnol et ne craint plus les comparaisons internationales. Il ne lui manque plus sans doute qu’un public plus large, et cette modeste contribution vous aura peut-être convaincus d’en faire partie.

Patrick RIBA
Conseiller Culturel en Bolivie

www.retinalatina.org –  https://www.frombolivia.com ,