Au Pérou, des vaccinations secrètes entraînent une vague de destitutions dans le gouvernement

Alors que le Pérou subit de plein fouet la deuxième vague de l’épidémie de Covid-19, plus de quatre cents personnalités publiques péruviennes se sont fait vacciner en secret, suscitant une vive polémique dans le pays. À deux mois des prochaines élections, cette nouvelle affaire de corruption a déclenché plusieurs enquêtes et une vague de démissions au sein de l’exécutif.  

Photo : France 24

Après la réception début février des 300 000 premières doses du vaccin chinois Sinopharm, la campagne de vaccination nationale annoncée par le gouvernement péruvien fin 2020 a pu commencer auprès du personnel médical. Cette nouvelle avait de quoi redonner espoir à une partie de la population, le pays se trouvant actuellement dans une situation critique avec plus de 1,2 millions de cas de Covid-19 recensés pour près de 45 000 décès. Le personnel soignant qui s’était mis en grève le mois dernier pour protester contre le manque de moyens et des conditions sanitaires difficiles est lui aussi mis à rude épreuve. Avec 14 200 personnes hospitalisées et une pénurie d’oxygène médical à travers le pays, la situation apparaît aujourd’hui plus critique qu’au printemps dernier.

C’est dans ce contexte que le journaliste d’investigation Carlos Paredes a révélé le 11 février dernier qu’un certain nombre de membres du gouvernement et de personnalités publiques avaient secrètement reçu des “doses de courtoisie” du vaccin Sinopharm, et ce dès octobre, lors de tests cliniques organisés par l’Université Cayetano Heredia (UPCH). Après l’annonce l’été dernier du contrat passé entre le gouvernement péruvien et l’entreprise chinoise, 12 000 personnes avaient en effet pris part à des essais cliniques de masses dans deux universités du pays, l’UPCH et l’Université Nationale Principale de San Marcos (UNMSM).

En plus de celles prévues pour les essais, 3 200 doses de vaccin avaient été fournies par Sinopharm, originellement “pour être administrées volontairement à l’équipe de recherche et au personnel lié à l’étude”. 1 200 d’entre elles auraient cependant été réservées à des personnalités proches du pouvoir dans ce qui sera rapidement surnommé dans la presse le “VacunaGate” (VaccinGate). La liste des 487 personnes ayant été secrètement vaccinées a été rendu publique lundi 15 février et inclut notamment l’ancien président Martín Vizcarra (2018 – 2020), mais aussi des ministres, des personnalités publiques comme des avocats, deux recteurs d’université, un ambassadeur du Vatican et certains de leurs proches comme la femme et le frère de Vizcarra.

Devant ces accusations, l’ancien président, limogé en novembre dernier pour “incapacité morale” suite à un vote controversé du parlement, a d’abord prétendu s’être porté volontaire pour l’étude. Des propos démentis ce mardi devant la Commission de contrôle du Congrès par Germán Málaga, ex-chef du programme d’essais cliniques de l’UPCH. Vizcarra aurait en fait explicitement demandé, quelques semaines avant sa destitution, que lui et sa femme soient vaccinés avec une dose “à étiquette ouverte” pour s’assurer qu’il ne s’agisse pas d’un placebo. Aujourd’hui candidat au poste de sénateur, l’ancien président s’est contenté d’exprimer sa surprise face à ces allégations et de mettre en garde contre « les ennemis du pays [qui utiliseraient ses actions] pour le discréditer » en vue des élections.

L’actuel chef de l’Etat, Francisco Sagasti, s’est quant à lui déclaré « furieux et scandalisé » après la révélation de l’affaire. « C’est un coup très dur qui nous a été porté et c’est l’héritage du gouvernement de Vizcarra », a-t-il indiqué lors d’une interview, demandant au passage la démission de tous les fonctionnaires ayant participé aux vaccinations secrètes. Car les accusations ne concernent pas seulement l’ancien gouvernement : Elizabeth Astete, la ministre des affaires étrangère a ainsi annoncé sa démission le 14 février après avoir admis s’être fait vacciner quelques semaines plus tôt car elle « ne pouvait pas se payer le luxe d’être malade ». Elle est le deuxième membre du gouvernement à quitter son poste après la ministre de la santé Pilar Mazzetti, vendredi 12 février, qui avait quant à elle expliqué avoir cédé face « à la peur et l’insécurité » et ainsi commis « la plus grosse erreur de sa vie ». D’après une annonce de Violeta Bermúdez, la présidente du conseil des ministres, mercredi dernier, ce sont au total seize fonctionnaires des départements de santé et des affaires étrangères qui ont reconnu avoir bénéficié de doses Sinopharm et qui ont été limogés.

Concernant le reste des 487 bénéficiaires du “VacunaGate”, la justice poursuit son travail. Le bureau de la procureure générale Zoraida Avalos a ouvert une enquête préliminaire contre Martín Vizcarra pour crimes contre l’administration publique, collusion et abus de pouvoir. Le Congrès a quant à lui nommé une commission d’enquête pour déterminer la responsabilité, ou non, des personnes vaccinées et devrait rendre des résultats dans les jours qui viennent. Ceux-ci pourraient conduire à plus de démissions dans les prochains jours et jusqu’à huit années de prison pour les ex-ministres. De son côté, le président Sagasti affirme que le scandale ne perturbera en aucun cas la campagne de vaccination nationale. En plus du million de doses Sinopharm déjà attendu, le gouvernement a également passé contrat auprès d’AstraZeneca, Pfizer et Covax avec pour objectif la vaccination de 24 millions de personnes d’ici la fin de l’année, dont 10 millions avant le 28 juillet, date de fin du mandat de Sagasti.

Si d’autres pays ont connu des cas similaires, comme en Équateur, en Espagne et plus récemment en Argentine où le président Alberto Fernández a demandé la démission de son ministre de la santé ce week-end, c’est bien au Pérou que le “Vacuna Gate” a fait le plus de bruit. Car si elle ne devrait pas empêcher les péruviens d’avoir accès aux vaccins, cette nouvelle affaire risque en revanche d’accroître une fois de plus la méfiance de la population envers leurs institutions. À l’approche des élections du 11 avril, ce nouveau cas de corruption n’est pas sans rappeler les nombreux scandales qui ont émaillé la vie politique péruvienne des dernières années et pourrait se faire ressentir dans les urnes.

Elise PIA