Une encyclopédie de la cruauté : « Casino Amazonie » d’Edyr Augusto, à paraître aux éd. Asphalte

« Casino Amazonie » est le cinquième roman d’Edyr Augusto, édité en France par Asphalte. L’auteur est natif de Belém, dans l’Etat du Pará, au nord du Brésil. Comme dans ses précédents romans, le romancier, également journaliste, explore cette région comme le ferait « un correspondant de guerre » dans un pays d’extrême violence où même les « lois de la guerre » sont violées. Jusqu’à l’épilogue, on aura du mal à faire la part entre les faits et la fiction.

Photo : Luiz Braga

Le dispositif mis en place par Edyr Augusto est habile. Au départ, « M’sieur l’écrivain » entreprend de faire une enquête en vue d’écrire son roman. Il est enlevé par les nervis d’un gang dirigé par Bronco, qui n’apprécie pas que l’on mette le nez dans ses affaires. Un pacte finit par être passé entre le malfrat et l’écrivain. « J’écris de la fiction, des romans : inutile de t’inquiéter, Bronco ». Par vanité, celui -ci accepte de « tout raconter » mais veut « lire le bouquin avant qu’il sorte » et décider de ce qui peut être gardé et de ce qui doit être jeté. Le lecteur est « accroché » et va donc accéder à un récit « obscène », au sens étymologique du terme – c’est-à-dire à ce qui devrait être « hors de scène ». Libre cours est donné à un propos qui n’est pas conforme à la bienséance morale, sociale ou politique.

La cruauté, la violence et les mécanismes de la corruption, généralement traités par l’ellipse ou tenus secrets, sont ici présentés sans fard.  Les convenances littéraires sont également bousculées. Les réalités extrêmes auxquelles le lecteur est confronté sont mises en scène par plusieurs procédés singuliers d’écriture.

Classes dangereuses et notables corrompus

En premier lieu, le nombre de personnages qui apparaissent et disparaissent au cours du récit donne le tournis. Les sans-toit, sans-papiers ou sans travail peuvent mourir dans l’indifférence. Ils sont la classe dangereuse et la police se mobilise peu pour trouver les criminels censés être des marginaux, eux aussi. Mais le tueur, Sergio, est en réalité un médecin, spécialiste des soins intensifs qui utilise le fil de suture et les gants chirurgicaux de son hôpital pour assassiner la nuit des clochards accros au crack dont « la vie n’a aucune valeur ». Lui, il tue parce que « sa vie ne le satisfait pas ».

Les personnages clés du roman noir sont bien au rendez-vous : gouverneur, maire, hommes d’affaires, notables de la ville, policiers, prostituées, trafiquants en tout genre, tous liés par des pactes de corruption pour le pouvoir, le sexe et surtout l’argent qui les rend fous. Le lieu par excellence de l’argent, ce sont les salles de jeu clandestines qui accueillent nuit et jour des hommes d’affaires, des politiques et des joueurs professionnels. Là aussi, l’homme fort des casinos de la ville est un médecin, Clayton Marollo qui s’est « fait un sacré paquet de fric sur le dos des cons. » Son bras droit, Gio, s’est hissé auprès du doutor à force d’intelligence et d’abnégation.  Gio est le fils d’une prostituée et compagnon de Zazá, naine d’une « somptueuse beauté » devenue tenancière d’un bordel, Paraiso Perdido (Paradis Perdu).

Dans ce théâtre de personnages assommés de whisky et de coke de première qualité, survient Paula, jeune beauté extraordinairement douée au poker ; elle est la maitresse de Gio, qui doit la céder à son maître, le Docteur Marollo à la recherche « d’une seconde jeunesse ». Tout se calcule, tout s’achète. La négociation s’engage comme une partie de poker menteur pour savoir à quel prix Gio cédera Paula à son patron.

Si les personnages sont nombreux, la construction du roman en chapitres courts de deux ou trois pages autorise la lecture de plusieurs intrigues parallèles où les protagonistes se croisent parfois. Cela fonctionne comme un lego. La lecture reste pourtant aisée : peu d’adjectifs, aucun adverbe et, parfois, même les verbes sont absents.  Phrases sèches empruntées à l’oralité, mots incisifs, personnages taillés à coups de serpe.  Les seules descriptions soutenues sont celles des atrocités commises : au couteau, au fil de suture, à l’arme à feu, au feu, à la grenade, au chlorure de potassium…

Ce roman sidère le lecteur par la violence inouïe qu’il décrit et une vulgarité étalée, celle des malfrats, des notables et des laissés pour compte d’une société locale corrompue, enfoncée dans une impitoyable violence qui parait sans fin. D’un correspondant de guerre, porte-voix de Bronco, on n’attendait pas des analyses stratégiques et politiques sur le Brésil du XXIème siècle. Et pourtant, « M’sieur l’écrivain » a vérifié beaucoup de faits qui lui ont été rapportés et ne nous décrit pas un Brésil cordial.

                                                                                                                                     Maurice NAHORY

· Casino Amazonie d’Edyr Augusto, traduit du portugais (Brésil) par Diniz Galhos, 201 pages, Asphalte éditions, 2021, 20 euros.

· En 2021, Asphalte éditions réédite le roman du Vénézuélien Francisco Suniaga, L’Île invisible, paru en français en 2013 et traduit de l’espagnol par Marta Martínez Valls (266 pages, 22 euros). Une chronique lui avait été consacrée par Christian Roinat dans la newsletter du 28 octobre 2013, consultable en ligne sur www.espaces- latinos.org.