En Amérique latine et aux Caraïbes, la récession due à la pandémie met à nu les inégalités sociales

Le FMI et l’ONU pronostiquent une croissance du PIB en panne pour l’Amérique latine et dans les Caraïbes. À lui seul, pourtant, cet indicateur ne saurait résumer une situation économique et sociale contrastée dans la région. En le privilégiant, certains sous-estiment les conséquences de la crise provoquée par le Covid19 et peuvent difficilement orienter les mesures économiques pour s’en sortir. 

Photo : INTAL

Selon les dernières prévisions du Fonds monétaire international (FMI) pour 2021, le produit intérieur brut (PIB) de l’Amérique Latine et des Caraïbes croîtrait de 4,1 % ; toutefois la croissance prévue ne serait pas suffisante pour compenser la baisse estimée à 7,4 % qu’a connu l’économie mondiale en 2020. Le Brésil connaîtrait une croissance de 3,6 % pour 2021, contre une baisse de 4,5 % pour 2020 ; le PIB du Mexique augmenterait de 4,3 % cette année, contre une chute de 8,5 % l’an dernier. 

Le FMI affiche un certain optimisme par rapport à ses propres estimations d’octobre dernier et signale que, si la vaccination donne bien des espoirs dans la lutte contre le Covid-19, les nouvelles vagues de contagion ainsi que les nouvelles variantes du virus sont préoccupantes pour les perspectives économiques. Selon lui, la magnitude de l’impact dans chaque pays dépendra des interventions sanitaires, de l’effet des mesures politiques, des caractéristiques structurelles et de l’appui que rencontreront ces mesures auprès de l’opinion publique. Enfin, afin de maintenir la pandémie sous contrôle, n’importe où dans le monde, une solide coopération multilatérale serait indispensable. 

Les prévisions pour l’Amérique latine de l’Organisation des nations unies (ONU) sont légèrement moins optimistes que celles du FMI : + 3,8 % pour 2021, + 2,6 % pour 2022. Au niveau mondial, l’ONU signale que la récupération sera lente et douloureuse. Les effets de la pandémie seront tangibles pendant de longues années, à moins qu’on ne réalise des investissements stratégiques dans les domaines économiques, sociaux et favorisant la résilience climatique. Le coronavirus a causé plus de deux millions de morts et a poussé de nombreuses familles dans la pauvreté, augmentant ainsi les inégalités. L’interruption du commerce mondial et l’arrêt d’activités économiques mondiales requiert des efforts extraordinaires. 

La chute du PIB en Amérique latine et dans les Caraïbes pour 2020 serait due en particulier aux mesures de quarantaine qui ont été adoptées nationalement, pendant des périodes prolongées, ce qui a affaibli les exportations, a provoqué l’effondrement du tourisme, et finalement a sapé toute l’activité économique. Certains pays, comme Haïti, le Paraguay et l’Uruguay ont pu contenir le virus et limiter les dégâts économiques, contrairement aux cas de l’Argentine, du Pérou, du Panamá ainsi que des pays des Caraïbes dépendant du tourisme, qui ont connu des fortes récessions. Par ailleurs, certains pays d’Amérique centrale et du Sud ont bénéficié de l’augmentation des cours mondiaux des matières premières, suite à l’activité industrielle de la Chine. Enfin, l’ONU signale les efforts des gouvernements du Brésil, du Chili et du Pérou, qui ont injecté entre 10 et 15 % de leur PIB dans la réactivation économique. L’ONU conclu que l’Amérique latine et les Caraïbes font face à une nouvelle menace de décennie perdue, aussi bien en termes de croissance économique que de progrès et de développement. 

La Banque mondiale constate l’aggravation de l’extrême pauvreté 

Pour sa part, la Banque mondiale prévoit que la crise globale due à la pandémie provoquera, pour la première fois en vingt ans, une augmentation nette du nombre de personnes qui vivent avec moins de 1,9 dollar par jour (seuil considéré comme l’extrême pauvreté). Elle estime, pour 2020, qu’il y a eu environ 120 millions de personnes supplémentaires sous le seuil d’extrême pauvreté dans le monde. Même sous l’effet de la crise financière de 2008, l’extrême pauvreté avait continué à se réduire globalement. 

Concernant les perspectives, la Banque mondiale estime que deux forces s’opposent : d’une part, le développement et la diffusion des vaccins qui, cette année, ne seront dans aucun cas suffisants pour récupérer le terrain perdu en 2020 ; d’autre part, l’extension des contaminations et l’apparition de nouvelles variantes du virus qui pourraient se traduire par une détérioration additionnelle de la crise sanitaire, économique et sociale. Selon elle, la pauvreté provoquée par la pandémie augmentera donc cette année de 143 à 163 millions de personnes dans le monde. En Amérique latine et aux Caraïbes l’augmentation de l’extrême pauvreté s’élèverait à environ 3,4 millions de personnes pour 2020 (passant de 24 millions à 27,4 millions de personnes). Pour 2021, elle prévoit une baisse de 0,8 million de personnes selon le scénario de base, mais une nouvelle augmentation au cas où se matérialiserait un scénario pessimiste. Dans le même temps, à l’extrême opposé de la misère, les personnes les plus riches du monde ont vu leur fortune augmenter, comme le dénonce l’ONG britannique Oxfam dans la presse. 

La pandémie, la récession, les inégalités et la planète. 

Sans entrer dans les polémiques concernant les méthodes d’évaluation de la croissance économique des nations, les enseignements que tirent certains organismes à partir de l’observation du PIB nous paraissent problématiques, voire erronées. Il n’y a pas de doute que la pandémie a provoqué une récession de l’activité économique, qu’on peut mesurer, outre le PIB, à l’aide de nombreux indicateurs tels la fermeture d’entreprises, le chômage, la baisse de production sectorielle, etc. Mais le PIB, comme l’indicateur de la santé économique d’une nation, est pour le moins contestable.  

Un pays comme le Chili peut afficher un redressement de son PIB parce que les cours mondiaux du cuivre s’envolent suite aux ventes en Chine, mais cela ne rend pas compte d’une structure économique qui a été violemment éprouvée par les crises sociale et sanitaire. Aussi, comparer la croissance économique ainsi que l’efficacité de la lutte contre le virus, sans prendre des précautions, entre Haïti, le Paraguay et l’Uruguay semble insolite, tellement les différences systémiques sont énormes entre ces trois nations. On peut en dire autant pour les autres nations qu’on compare au regard seulement de quelques indicateurs macroéconomiques isolés du contexte. 

Depuis au moins trente ans, le libéralisme domine la pensée économique et l’on entend partout que les gains des riches ruisselleraient vers le bas, comme l’eau qui coule dans une fontaine. Comme s’il était encore besoin de démontrer cette inexactitude, la pandémie met à nu les inégalités économiques, sociales et l’accès aux soins de santé, comme le constate timidement la Banque mondiale. 

Oui, la pandémie a provoqué une sévère crise économique et une récession de l’activité productive en Amérique latine et aux Caraïbes. Il faudra probablement des années pour s’en sortir. Évidemment, cela se traduit aussi par des situations politiques dont l’issue est impossible à prévoir. On sait également que les pandémies sont la conséquence des dérèglements écologiques. En toile de fond, se posent ainsi des questions, pour le sous-continent latino-américain comme sur le plan mondial, qui ont trait aux valeurs et sont d’ordre systémiques, et que d’une manière prosaïque on pourrait résumer par le dilemme suivant : que faut-il privilégier ? La croissance du PIB ou le respect de la planète, dès lors que l’on veut faire bénéficier le plus grand nombre ? 

                                                                                              Diego PÉREZ DE ARCE