Au Venezuela des médias indépendants sous la menace du régime de Nicolás Maduro

La pression qu’exerce le pouvoir vénézuélien depuis des années sur les médias indépendants s’est encore illustrée en ce début d’année par des fermetures et des confiscations arbitraires. Malgré cela, une nouvelle génération de titres a émergé dans la sphère numérique et poursuit sa mission d’informer, coûte que coûte.   

Photo : El Nuevo Diario

Le 8 janvier 2021 en fin de matinée à Caracas, les studios de la chaîne indépendante de télévision Venezolanos por la información (VPI, Des Vénézuéliens pour l’information), qui émet sur Internet, sont investis par des agents de l’administration des télécoms. Ceux-ci saisissent le matériel, les ordinateurs, ferment les locaux et décrètent la suspension des opérations de la chaîne au Venezuela. Sans donner de raison.  Créée en 2015 par deux Vénézuéliens, la chaîne a son siège à Miami et argue donc de son statut de media international, mais rien n’y fait. Depuis ce jour, la chaîne est aux abonnés absents dans le pays.  

En ce début janvier, d’autres médias indépendants et critiques du régime vénézuélien ont été la cible de brimades : le site Tal Cual, déjà largement amputé de ses moyens depuis plusieurs années après plusieurs procès intentés contre son (défunt) fondateur Teodoro Petkoff, farouche opposant au régime ; ou encore les sites Efecto Cocuyo, El Pitazo et un journal régional, Panorama. « Nous cherchons à connaître les raisons pour lesquelles les autorités administratives ont saisi les équipements de nos correspondants servant à faire leur travail de journalistes au Venezuela », indique un communiqué de la chaîne VPI sur Twitter.  

Une loi “contre la haine“ 

Le pouvoir vénézuélien a invoqué la « grossière ingérence » du Royaume-Uni qui financerait des sites indépendants destinés à « renverser (Nicolás) Maduro », le dirigeant vénézuélien. Le régime peut aisément s’appuyer à la fois sur les “tuyaux“ informatiques dont il garde la maîtrise pour couper la parole aux médias critiques, et sur l’intimidation par la force. Mais il a à sa portée une autre arme redoutable : la loi “contre la haine“ (et “pour une coexistence pacifique et tolérante“) votée en 2017 par l’Assemblée constituante qui s’est substituée à l’assemblée nationale, cette dernière étant alors dominée par l’opposition.  

Au terme de cette loi, les concessions délivrées aux médias audiovisuels par exemple peuvent être révoquées au motif qu’elles ne diffusent pas des messages « destinés à promouvoir la paix, la tolérance et l’égalité. » Ce texte polémique est dénoncé par toutes les associations de journalistes, dans le pays comme à l’étranger, comme une “loi bâillon“. Avec la victoire toute récente, le 6 décembre dernier, des partis proches du pouvoir chaviste à l’Assemblée nationale, une victoire non reconnue par nombre de pays ou d’institutions internationales, le régime semble désormais prêt à contrer systématiquement ce qu’il considère comme une propagande hostile. 

Il n’empêche : après les événements de début janvier, les agressions répétées contre la liberté d’informer ont conduit, le 11 janvier dernier, la Haute commissaire aux Droits de l’homme des Nations Unies, Michelle Bachelet, à dénoncer de « nouvelles restrictions à la liberté d’expression » dans le pays. En 2019, elle avait rendu un rapport attestant de graves violations aux droits humains au Venezuela, et notamment à l’encontre des journalistes.  

Les attaques contre les médias sont loin d’être une nouveauté au Venezuela. Rien qu’en 2020, l’entourage de Juan Guaidó, principal opposant au régime reconnu comme président par intérim depuis janvier 2019 par une cinquantaine de pays, avait relevé entre mars et août plus d’une centaine d’agressions contre des journalistes. Détentions arbitraires, disparitions forcées, confiscation de matériel, suspension d’autorisations d’émettre, censure, refus de visa d’entrée aux journalistes étrangers : le régime ne semble pas craindre l’escalade.  « Depuis le début des confinements liés au Covid-19, plus de 40 portails et plateformes d’information numériques ont été bloquées au Venezuela », rapportait en octobre 2020 l’Instituto Prensa y sociedad (Ipys, Presse et société) une ONG vénézuélienne qui s’appuie sur un monitoring international des blocages Internet.  

Démantèlement et riposte 

Depuis 2013, le paysage des médias a subi un démantèlement progressif par le régime de Nicolás Maduro. Le détricotage s’est effectué via le rachat de journaux par des entreprises proches du pouvoir, ou encore, par une asphyxie économique des titres, qui n’ont pu, par exemple, continuer à acheter du papier pour imprimer leurs journaux ou ont été privés de ressources publicitaires.  

C’est ainsi que des médias comme El Nacional (opposition), l’un des plus importants du pays, ou Tal Cual cité plus haut, ont arrêté ou ont espacé leurs versions papier. Selon la Société interaméricaine de presse (SIP), entre 2013 et 2017, quelque 24 titres de presse ont cessé de circuler : 10 d’entre eux ont fermé et 14 autres se sont relancés sur Internet.  

Mais cette érosion orchestrée par le pouvoir a paradoxalement généré de grandes innovations. Ces dernières années, une bonne douzaine de nouveaux médias vénézuéliens indépendants, pour certains exilés en Espagne, ont vu le jour sur Internet et délivrent une information fiable et solide sur le pays, sans oublier un canevas d’enquêtes révélant des affaires de corruption, les dérives autoritaires du régime et la crise qui frappe durement les Vénézuéliens.  

Nombre de ces médias, comme Alberto News, Efecto CocuyoEl Estímulo ou encore El Pitazo, parviennent à surmonter les blocages intempestifs de leurs sites grâce à des artifices informatiques, et grâce aussi à leur puissance sur les réseaux sociaux, où ils comptent parfois jusqu’à 800 000 abonnés. Ces abonnés sont autant de relais démultipliés des informations publiées par ces médias, qui fonctionnent par ailleurs de façon collaborative, en bénéficiant de volontaires un peu partout dans le pays ou à l’extérieur.  

C’est ainsi par exemple que s’est développé le site El Pitazo, qui a gagné en 2019 le prix espagnol de journalisme Ortega y Gasset pour un reportage multimedia sur la faim au Venezuela. Comme bien d’autres de ses confrères en ligne, le journal El Pitazo, qui a été co-créé par l’ONG Ipys, cité plus haut, s’appuie sur un réseau latino-américain de journalisme (Alianza Rebelde Investiga) pour mutualiser les efforts d’enquête. Plusieurs grandes plateformes collaboratives ont ainsi émergé ces dernières années dans la région. De son côté, le site Alberto News invite les lecteurs à télécharger la messagerie cryptée Telegram pour accéder à toutes les informations du média. Il n’est pas le seul dans ce cas.  

L’argent  

Évidemment, les modèles économiques de ces médias indépendants qui confrontent l’information officielle ne reposent plus sur les revenus publicitaires, voire sur les seuls abonnés, même si les lecteurs sont fortement encouragés à soutenir une information libre et indépendante. Bien que les structures soient légères, la survie dépend parfois du coup de pouce extérieur : ONG, fondations, universités, institutions internationales de défense de la démocratie ou de la liberté d’expression… 

Le Royaume-Uni n’a pas démenti l’allégation du gouvernement vénézuélien qui l’accuse de financer des médias indépendants, via des fonds versés à des organismes de coopération ou de développement. Il a répondu que « la liberté d’expression et les médias libres sont nécessaires à la démocratie » et que « les protéger partout dans le monde est une priorité. » Pour l’heure, soulignent des experts des médias, les financements étrangers d’ONG ou de médias indépendants ne sont pas interdits au Venezuela.  

Et partout dans le monde, précisément, les médias sont en butte aux bouleversements de leur système économique. En 2015, lors d’un Congrès sur le journalisme d’investigation qui s’est tenu en Colombie, une étude sur 35 titres indépendants issus de divers pays avait montré qu’aux côtés des abonnés, de la formation, de la publicité ou de l’organisation d’événements, tous les titres survivaient grâce à des bourses et des donations privées ou publiques.  

Ce nouvel équilibre, souvent fragile pour les titres, donne à ceux-ci un peu de respiration sans pour autant influencer leur ligne éditoriale, comme le précise un communiqué du journal Efecto CocuyoCar le travail de journaliste ne gagne sa légitimité qu’à l’aune d’une information plurielle et vérifiée, confrontant le discours aux réalités et la propagande aux secrets bien gardés.  

                                                                                       Sabine GRANDADAM