L’inextricable problème migratoire : le symbole de la caravane de migrants bloquée au Guatemala

Depuis la fin de l’année 2018, le phénomène migratoire en Amérique s’est amplifié. En témoignent les désormais tristement connues « caravanes » de migrants : ces femmes, hommes et enfants fuyant à pied ou entassés dans des camions, la violence des gangs et des trafiquants de drogue ainsi que la misère de leur pays, le Honduras, le Salvador ou le Guatemala. 

Photo : BBC

Alors que l’année 2021 débute, une nouvelle caravane de migrants s’est formée depuis le Honduras et une des villes du pays, San Pedro Sulas. Ces migrants, fuyant, en plus de la violence, les conséquences des catastrophes naturelles survenues quelques jours et semaines plus tôt, ont été réprimés par la police guatémaltèque les empêchant d’entrer sur le territoire. Le 15 janvier 2021, plus de 3000 personnes ont quitté la ville de San Pedro Sulas, peuplée de 9 millions d’habitants et centre industriel important du Honduras, pour des raisons économiques, sanitaires et climatiques. Au début du mois de novembre, l’ouragan Eta, de catégorie 4 sur 5, a frappé l’Amérique Centrale et a été suivi d’un second, l’ouragan Iota encore plus dévastateur. Les inondations et les glissements de terrain ont causé d’innombrables destructions matérielles et humaines, notamment au Honduras. La crise sanitaire n’a rien arrangé puisque fin septembre 2019, le pays était l’un des plus touché d’Amérique centrale, cela aggravant la pauvreté des habitants. 

À ces difficultés conjoncturelles, s’ajoute le problème structurel de la violence venue des gangs comme celui des Maras. Ces gangs sont nés aux États-Unis et sont constitués à l’origine de jeunes Salvadoriens ayant fui la junte militaire de leur pays, allié des États-Unis dans les années 1970, période qui allait voir se dérouler des guerres civiles au Salvador, au Nicaragua et au Guatemala. Recueillie par Prensa Libre la phrase d’un père de famille de 34 ans nommé Geovanni Ramirez, fuyant son propre pays avec son épouse âgée de 27 ans et leur fille de 3 ans seulement, est lapidaire : «  Soit on vient soit les maras me tuent. » 

Deux jours plus tard, le 17 janvier 2021, la caravane de migrants, désormais composée de plus de 9000 personnes et qui se dirigeait en direction des États-Unis, fut stoppée par la police guatémaltèque à la frontière entre le Honduras et le Guatemala, à proximité de la ville guatémaltèque de Vado Hondo. Le pays du Quetzal est depuis plusieurs années crispé sur lui-même, en témoigne l’élection d’un président conservateur, Alejandro Giammattei en 2019, succédant à Jimmy Morales, auteur d’un mandat décevant alors qu’il promettait d’endiguer la corruption au Guatemala. La crise politique après l’adoption du budget fin novembre 2020 est la manifestation la plus récente d’un pays qui doit pourtant faire face à des mouvements migratoires importants. 

La répression des migrants tentant de forcer le barrage policier est illustrée par les coups de matraques infligés par la police guatémaltèque et le lancement de plusieurs gaz lacrymogènes afin de disperser et faire reculer les candidats à l’exil. Certains se sont réfugiés plus loin quand d’autres ont fait marche arrière ou été ramenés dans leur pays, notamment une centaine de mineurs. 

Ce recours à la force, bien que spectaculaire, était légitimé par le Président du Guatemala lui-même, puisqu’il avait signé un décret quelques jours plus tôt, autorisant ces actions au nom du risque épidémique et de la sécurité nationale. Le fonctionnaire Guillermo Diaz, directeur de l’Institut Guatémaltèque de Migration l’explique : « Nous sommes préoccupés par cette situation qui, d’une certaine manière, met la population en danger en termes de santé. » C’est pourquoi les autorités guatémaltèques avaient demandé, pour toute tentative d’entrée dans le pays, un test PCR négatif ainsi que des documents d’identité en règle. L’argument aurait la force de la conviction s’il n’était pas contrebalancé par le rappel des droits humains. La directrice d’Amnesty International, Erika Guevara-Rosas affirme que : « demander l’asile est un droit essentiel qui sauve des vies. » Entre considérations humanitaires et sécuritaires, le problème migratoire en Amérique centrale semble ainsi insoluble. Malgré les difficultés, les migrants gardent pour beaucoup la foi, le même Geovanni Ramirez expliquant : « mais nous croyons en Dieu et nous avons confiance en Dieu pour aller de l’avant. » 

Si le gouvernement d’Alejandro Giammattei explique que le maintien de l’ordre est de son ressort, et c’est effectivement le cas, la politique des États-Unis d’Amérique n’est sans doute pas étrangère à ce tour de vis de l’exécutif guatémaltèque concernant la question migratoire. Pour endiguer le flux migratoire entre la frontière des États-Unis et du Mexique, l’ancien président Donald Trump avait négocié un accord avec les autorités du Guatemala pour que les demandes d’asile des migrants soient effectuées directement au Guatemala et que ce dernier soit ainsi qualifié de « pays tiers sûr ». Mais, comme l’expliquait de manière visionnaire l’avocat spécialiste des migrations Pablo Soares à RFI : « L’État guatémaltèque n’a pas non plus un nombre suffisant de policiers pour garantir la sécurité sur la totalité de son territoire national et ne sera donc pas en mesure de contrôler les flux migratoires internationaux qui traversent le pays. » Dernier fait d’armes de l’administration Trump, la déclaration de l’état d’urgence sur la frontière avec le Mexique, alors que certains migrants honduriens ayant réussi à passer par le Guatemala malgré le dispositif policier se dirigeaient en direction des États-Unis. La récente élection de Joe Biden à la tête des États-Unis présage d’une position plus nuancée mais qui reste ferme, au moins dans les propos d’un membre des démocrates, resté anonyme : « Le voyage vers les États-Unis reste extrêmement dangereux, et les habitants de la région ne devraient pas croire quiconque leur vend le mensonge selon lequel notre frontière sera ouverte à tous le mois prochain. » 

L’administration Biden devra également se coordonner davantage avec le Mexique qui s’attend dans les jours qui viennent à de nouvelles pressions migratoires. Le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, questionné en conférence de presse, a assuré que le dialogue et les droits humains seraient respectés. Toutefois, force est de constater que le problème se répète puisque les migrants ont de nouveau forcé le barrage constitué par la garde nationale mexicaine. Le gouvernement répétant à l’envie qu’il « ne permettrait pas l’entrée illégale de caravanes de migrants ». D’ailleurs, sur les réseaux sociaux, une autre « marche » de migrants est prévue le 25 janvier avec ceux ayant été repoussés une première fois, comme le signe d’une persistance. 

Hugo PLEAU