Avec le Mouvement de rénovation nationale (Morena) le Mexique, perpétue la Piñata politique ?

Le Mexique, en élisant le candidat du parti Mouvement de rénovation nationale (Morena) le 1er juillet 2018, a tourné la page des alternances PRI/PAN (Parti de la révolution institutionnelle et Parti d’action nationale). Andrés Manuel Lopez Obrador (AMLO), le nouveau président, avait alors annoncé une « Quatrième Transformation », élargissant ainsi les ambitions du curé Hidalgo, père de l’indépendance, de Benito Juarez, figure tutélaire du libéralisme et du patriotisme, de Francisco Madero, défenseur d’une République transparente et morale.  

Photo : Le Libre de Belgique

La rupture historique annoncée se fait pourtant toujours attendre en janvier 2021, année symbolique, celle de mi-mandat. Le Président AMLO, mouline mots et annonces chaque matin à 7h. sans réussir à crever la piñata des espérances. Une majorité de la population lui garde malgré tout une confiance notable, forgée par le souvenir amer et souvent cuisant laissé par les forces du passé (PRI et PAN).  La piñata est un jeu prisé des enfants d’Amérique latine. Les yeux bandés, armé d’un bâton, on tente sa chance en essayant de crever un mannequin de carton, suspendu, et rempli de friandises. Quand tout se passe bien les bonbons tombent à flot. Chaque partenaire étant doté d’un bout de bois, balancé à tout vent, il y a un risque de volées de coups mutuels. Ces friandises, économiques, sociales, sécuritaires, AMLO les espère et les attend, tout comme les Mexicains. Cette impatience a été aiguisée par la pandémie de ces derniers mois et ses séquelles. 

Mais le Verbe peine à se faire chair. Tout en conservant son panache, AMLO reste un tribunicien captant ses auditoires. Plus de 60% de ses compatriotes lui feraient toujours confiance selon les sondages. Mais jusqu’à quand le charme fera-t-il de l’effet ? Le Mexique se révèle en effet bien difficile à « transformer ». Les lourdeurs clientélistes, les réseaux de toute sorte, grippent depuis toujours l’Etat, l’économie, la société.  

AMLO a hérité d’un pays affecté de graves maladies : une insécurité préoccupante, une corruption chronique, un appareil policier et militaire gangrené, une justice incertaine, une économie en panne, un voisinage difficile avec les Etats-Unis donneurs d’ordre altérant la souveraineté mexicaine. Et aujourd’hui la covid-19 qui met à l’épreuve un système de santé inadapté1. AMLO avait promis la fin de l’impunité et de la corruption, une relance économique, une politique sociale dirigée vers les plus pauvres, la défense des migrants mexicains et un meilleur accueil de ceux venus d’Amérique centrale, une épuration de la police, le renvoi de l’armée engagée dans le maintien de l’ordre, aux frontières, une relation moins asymétrique avec Washington, et son président Donald Trump vertement critiqué.  

Un peu plus de deus ans plus tard, le cap qui a été suivi donne le tournis. Des gestes spectaculaires ont été faits pour matérialiser la moralisation et la Transformation revendiquées. Le président a réduit son indemnité de 66% et les salaires de la haute administration publique par voie de conséquence, aucun fonctionnaire ne pouvant percevoir un revenu supérieur à celui du chef de l’Etat. La résidence présidentielle, « Los Pinos », a été transformée en musée. La flotte aérienne gouvernementale a été « désarmée » et mise en vente.

Suspectés d’avoir été conclus de gré à gré, de grands chantiers comme celui de l’aéroport de la capitale, Texcoco, ont été annulés. De grands investissements publics ont été programmés, -un autre aéroport pour la capitale, un train à grande vitesse, une raffinerie de pétrole-. La police comme signalé, et les forces armées ont été mises à l’écart. La création d’une Garde nationale a été mise en chantier. Un plan d’aide aux pays centraméricains a été engagé, pour assécher les flux migratoires. Afin de ne pas être invité à une rencontre inégale à Washington et confirmer l’austérité de sa gestion, AMLO a confirmé qu’il ne se déplacerait pas à l’étranger. 

Une nuée de grains de sable ont très vite grippé ces ambitions. La politique sociale a été subordonnée aux retombées financières de la lutte contre la corruption, à la vente de biens publics, à la baisse du salaire des fonctionnaires de catégorie A, et à la réduction du budget national. Mais dès le 1er juillet 2018 comme le lui demandait le patronat, AMLO a dans son premier discours indiqué qu’il n’y aurait pas de réforme fiscale. Les marges de manœuvre financières attendues, ainsi réduites, ont été relativement modestes. Et n’ont permis de répondre que très partiellement aux défis sociaux. D’autant plus que l’avion de son prédécesseur, mis aux enchères, n’a pas trouvé preneur. Les investissements publics centrés sur le tout pétrole, et la destruction de terres agricoles pour construire un TGV, témoignent qui plus est d’un refus de prendre en compte la protection de l’environnement. Les armées ont rappelé leur présence, forçant AMLO à revoir sa feuille de route. La Garde nationale, effectivement constituée, n’est plus aussi civile que prévu. La gestion de la pandémie patine en dépit des médailles miraculeuses sorties de la poche d’AMLO à l’occasion de l’une de ses mañaneras.2 La virulente réaction de Donald Trump a stoppé net la bienveillance à l’égard des migrants centraméricains.

AMLO a révisé sa copie, ici encore, pour couper court aux menaces de sanctions commerciales proférées par son principal partenaire économique. La garde nationale initialement créée pour lutter contre la délinquance a été déployée aux frontières afin d’interdire tout passage de migrants vers les Etats-Unis. L’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain Canada/Etats-Unis/Mexique) a été révisé pour répondre aux vœux protectionnistes de Donald Trump. Rompant avec son refus de voyages internationaux, AMLO s’est rendu à Washington le 8 juillet 2020, officiellement pour célébrer la signature du nouvel ALENA, le T-MEC. Mais hors de la présence du premier canadien, Justin Trudeau, qui s’est « porté pâle », AMLO a apporté indirectement un soutien à Donald Trump déjà en campagne électorale. En refusant de rencontrer le candidat démocrate Joe Biden, comme les associations de migrants mexicains aux Etats-Unis, AMLO a confirmé le caractère partisan de cette visite. Choix souligné ultérieurement par la reconnaissance tardive, 41 jours après le 3 novembre 2020, de la victoire présidentielle de Joe Biden. 

L’intermède Trump/Biden a été marqué par un retour public d’AMLO aux grands principes nationalistes affichés pendant la campagne présidentielle. Ce retour à la case départ n’a fait qu’ajouter aux interrogations. AMLO, peut-être sous la pression de ses forces armées a fait adopter le 16 décembre 2020 une nouvelle loi de sécurité encadrant étroitement la coopération policière avec les Etats-Unis. Il a exigé le retour au pays d’un général, Salvador Cienfuegos Zepeda, ancien ministre de la défense de son prédécesseur3, arrêté le 15 octobre 2020 à Los Angeles, pour complicité avec certains trafiquants de stupéfiants… Retour tardif d’ascenseur de la part de Donald Trump ? incertitude d’une justice nord-américaine ballotée par une transition à problème ? Quoi qu’il en soit, de façon inhabituelle, les Etats-Unis ont accepté le 18 novembre 2020 de renvoyer le général au Mexique pour y être mis en examen. Lequel a été lavé de tout soupçon le 14 janvier 2021, décision dont s’est publiquement félicité AMLO, mettant l’arrestation aux Etats-Unis de cet officier mexicain sur le compte de rivalités électorales aux Etats-Unis. Et pour bien se faire comprendre le 4 janvier 2021 AMLO a offert asile et protection à Julian Assange, au nom de la non ingérence dans les affaires des autres pays.  

Reste à savoir comment Joe Biden va réagir à cette tardive et opportuniste piñata souverainiste d’entre deux. Reste à vérifier le 6 juin prochain, à l’occasion des élections parlementaires mexicaines de mi-mandat, si les électeurs vont estimer avoir été bien servis par la piñata du Morena. Il n’est pas sûr que l’atole4 proposé par l’alliance de la droite (PAN/PRI) et de la gauche (PRD5) leur offre une alternative politique et gustative supérieure à celle de la piñata d’AMLO… 

Jean Jacques KOURLIANDSKY 

1 A la mi-janvier 2021 120 000 mexicains étaient morts du coronavirus 
2 Conférences de presse matinale d’AMLO données au Palais national 
3 Salvador Cienfuegos a été de 2012 à 2018, Secrétaire à la défense du président Enrique Peña Nieto (PRI) 
4 Boisson chaude traditionnelle, d’origine précolombienne, composée de farine de maïs, d’eau, de jus de canne à sucre et d’ingrédients additionnels parfumés 
5 Parti de la Révolution Démocratique