Mexique : la réforme administrative controversée d’Andres Manuel López Obrador

Pendant sa campagne électorale, Andres Manuel Lopez Obrador avait promis une simplification de l’organigramme institutionnel mexicain qu’il jugeait beaucoup trop complexe et coûteux. Maintenant installé au pouvoir, à quelques mois d’un nouveau rendez-vous avec les électeurs pour les députés de son parti Morena (les prochaines élections législatives auront lieu en juin prochain) et avec une crise sanitaire qui met à feu et à sang les réserves financières déjà fragiles du pays, AMLO souhaiterait passer à la vitesse supérieure. 

Photo : AS Mexico

Après la suppression de 109 fideicomisos en octobre dernier, le président mexicain entend désormais supprimer les Organismes autonomes. Le but annoncé : faire des économies et éradiquer la corruption des institutions. L’opposition dénonce un musellement des contre-pouvoirs et la mise en place progressive d’un régime centré autour de la figure d’Andres Manuel López Obrador. « Au diable leurs institutions ! », c’est ce que déclarait AMLO, alors candidat déçu de la campagne électorale de 2006, à ses sympathisants. En effet, le désamour et la défiance du président mexicain envers les institutions nationales ne datent pas d’hier. Selon lui, le service public et ses fonctionnaires sont corrompus, grassement payés et au service des intérêts néolibéraux. Une de ses promesses de campagne en 2018 était donc de combattre la corruption et d’appliquer une « austérité républicaine » aux différentes institutions nationales.  

Deux ans plus tard, en pleine pandémie dévastatrice de COVID-19 (le Mexique figure dans le top 3 des pays comptant le plus de morts après les États-Unis et le Brésil) et à 6 mois d’élections intermédiaires cruciales pour le renouvellement des députés nationaux, le président mexicain revient à la charge, entend « mettre de l’ordre » et rendre plus transparente l’attribution des ressources publiques.  

Premier tour de chauffe, la suppression des fideicomisos 

L’organigramme du pouvoir mexicain au niveau fédéral est en effet particulièrement développé. Il s’agit d’un système mis en place à partir de la révolution mexicaine de 1910 et qui s’est complexifié au fil du temps. A partir des années 90, le pouvoir décisionnel est morcelé entre de nombreux organismes indépendants, le but étant de créer des structures avec une certaine autonomie par rapport au pouvoir en place, ce qui éviterait la mainmise complète du président en place sur les finances publiques. Le mandat qui leur est conféré par la Constitution leur permette de travailler sur leurs dossiers sans que le gouvernement n’intervienne dans leurs tâches, bien qu’ils soient financés par les budgets de l’État. Ces structures, appelées fideicomisos, concernent des secteurs variés : le Fonds pour la coopération internationale en science et technologie, le Fonds pour les catastrophes naturelles, le Fonds pour l’investissement dans le cinéma, le Fonds pour la protection des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes, le Fonds sectoriel pour la recherche en éducation, le Fonds pour le sport de haut niveau, … Au total, il existait en 2020 plus de 300 fideicomisos.  

La mise en place de ces organismes naît aussi de la pression populaire dû à une méfiance généralisée envers le gouvernement central. Méfiance qui n’a plus lieu d’être, selon Andres Manuel Lopez Obrador, depuis son ascension au pouvoir qui aurait renouvelé la confiance du peuple mexicain envers un pouvoir national devenu irréprochable. Le président martèle que sa proposition vise à concevoir une « structure administrative adaptée à la réalité ». C’est dans ce sens qu’en octobre dernier, 109 fideicomisos ont été démantelés et leurs fonctions absorbées par les ministères fédéraux.  

La suppression de l’INAI 

Cette fois-ci, le président mexicain entend supprimer les organismes autonomes. Le plus emblématique de ceux-ci est sans aucun doute l’INAI, l’Institut national de l’accès à l’information. Cet institut indépendant a comme mission d’obliger les différents pouvoirs à fournir les informations d’ordre publique à ceux qui en font la demande. Ce puissant contre-pouvoir n’est pas au goût de l’actuel président mexicain qui déclara lors d’une de ses conférences de presse matinale : « Il n’est pas utile, il ne profite pas au peuple et son maintien coûte cher », ajoutant ensuite que le fonctionnement de l’INAI équivaut à un budget de 1.000 millions de pesos mexicains (905 millions en réalité, ce qui équivaut à 0,01% du budget fédéral mexicain). L’idée d’AMLO est de confier les compétences de l’actuel INAI au Ministère de la Fonction publique ce qui, selon les nombreux opposants au projet, rendrait le pouvoir exécutif à la fois juge et partie.    

Car que fait concrètement l’INAI ? Il s’agit d’un organe constitutionnel autonome dont la mission est de garantir l’accès à l’information publique, un droit constitutionnel. En ce sens, elle est chargée de veiller à ce que les trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), mais aussi toute autre autorité fédérale, les organismes autonomes eux-mêmes, les partis politiques, les trusts, les fonds publics et les syndicats fournissent les informations publiques demandées par les citoyens. Toute personne peut demander des informations publiques aux autorités sans avoir à justifier les raisons de cette demande. Si les entités publiques refusent de fournir ces informations, l’INAI peut intervenir au nom de la personne et donne des instructions aux autorités pour qu’elles remplissent leurs obligations de transparence.  

Cet organisme, créé en 2002, sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur, est devenu autonome en 2015 et connaît depuis lors un très grand succès. Ces cinq dernières années, les cas ont même quadruplé pour atteindre une moyenne annuelle de 373 000 demandes. Certaines de ses demandes ont permis de mettre en lumière des informations importantes dans des cas de corruption emblématiques tels que l’Estafa Maestra et l’affaire Odebrecht qui ébranla la scène politique de tout le continent latino-américain.   

Les mêmes cas de corruption, dénoncés lors de la campagne de 2018 par AMLO et qui lui permirent de se hisser finalement au sommet du pouvoir. Lui qui proclamait vouloir se débarrasser de cette corruption entend maintenant démanteler l’Institut chargé de la transparence des affaires publiques, régi par un cadre juridique jugé considéré comme l’un des meilleurs du monde, selon le classement du droit à l’information (RTI) établi par Access Info Europe (IEA) et le Centre pour le droit et la démocratie (CLD).  

L’opposition politique mais aussi les acteurs de la société civile dénoncent une tentative de concentration de pouvoir de la part d’Andres Manuel Lopez Obrador et la suppression d’un contrepoids politique majeure. Etant donné le caractère constitutionnel de ces instituts, il faudra une modification de la Constitution pour en venir à bout, et donc une majorité des deux tiers au Congrès. Ce qui serait rendu possible par une victoire massive de Morena, le parti politique d’AMLO, aux prochaines élections législatives.  

Selon les représentants de l’organisation Mexico contra la corrupción, cette proposition entraverait le contrôle des actions du gouvernement, restreindrait sérieusement la division des pouvoirs et rapprocherait de façon inquiétante la situation actuelle à un gouvernement d’un seul homme. Quant à l’organisation Human Rights Watch, elle considère que l’INAI permet de forcer le gouvernement à être transparent, un accomplissement dans le domaine des droits de l’homme mexicains, après que les autorités aient caché des données pendant de nombreuses années. Le politologue, Mauricio Merino, interrogé par El Paísse demande même ce que tente de cacher Andres Manuel Lopez Obrador pour s’attaquer aussi frontalement à l’INAI.  

La simplification administrative au forcing proposée par AMLO réveille les vieux démons des institutions gouvernementales en Amérique latine. Les transitions politiques, surtout les plus radicales, comme ce fut le cas entre l’administration précédente de Peña Nieto et celle d’AMLO, sont souvent l’occasion de faire table rase des projets mis en place par ses prédécesseurs, perçus comme forcément mauvais ou mal pensés, ce qui affecte la continuité de la fonction gouvernementale. Ce manque de maturité de la fonction publique en Amérique latine affaiblit ces institutions et les décrédibilisent aux yeux des citoyens. Au Mexique, les effets néfastes de ce modèle prémoderne ont été contrés par la création des agences autonomes. L’objectif était de décentraliser les fonctions pour réduire le pouvoir présidentiel. Il semblerait donc qu’AMLO souhaite revenir à un Etat central fort.  

La proposition de simplification administrative d’AMLO est, au bas mot, maladroite et pose de sérieuses questions sur sa vision du pouvoir. Le seul argument de la lutte contre la corruption ne peut pas tout justifier. Les institutions mexicaines doivent certainement se perfectionner, se simplifier et se moderniser. Mais il ne convient pas non plus de jeter le bébé avec l’eau du bain. Les voix s’opposant au démantèlement de l’INAI demandent à ce que le travail effectué dans le passé soit exploité afin de tirer parti de l’expérience accumulée par l’organisme.  

Finalement, la suppression de l’INAI créerait un précédent. En effet, un retour en arrière s’avérerait difficile à effectuer. Imaginons que le gouvernement d’Andres Manuel Lopez Obrador soit vraiment aussi vertueux qu’il le prétende et qu’il puisse se dispenser d’un tel organe autonome de contrôle. Néanmoins, ce gouvernement ne sera pas le dernier que verra passer le Mexique. Et les prochains gouvernements pourraient bien profiter de l’absence de l’INAI pour ré-instaurer l’opacité sur les institutions gouvernementales du pays. Si ce n’est pas déjà fait.   

Romain DROOG