L’Amérique latine et soixante-quinze ans de Nations Unies en nuit américaine

Les Amériques latines, leurs gouvernants, ont participé le 22 septembre dernier au rendez-vous annuel des Nations unies. Rendez-vous cette année bien particulier. L’Onu fêtait son 75e anniversaire. Sans éclat. Le coronavirus a forcé la main des chefs d’État contraints à une présence virtuelle. Risque de contagion, agendas nationaux perturbés par la maladie et ses séquelles économiques et sociales, obligent. Sans oublier le fond de l’air, local et international, bien perturbé.

Photo : ONU Mexico

Tout en effet contraignait les uns et les autres, à rester chez eux. Tous sont en effet enlisés par l’équation bien difficile posée par la Covid-19. La nécessité d’arbitrer entre la protection immédiate de la santé de leurs concitoyens, et celle de protéger leur survie alimentaire. La voie moyenne et zigzagante, suivie par la plupart n’a pas jusqu’ici fait preuve de sa pertinence. L’épidémie résiste. Le Brésil, et ses 130 000 morts au 20 septembre, le Mexique avec plus de 75 000 victimes à la même date, sont deux des pays les plus affectés dans le monde. Chili, Colombie, Équateur, Pérou ont perdu pied. L’Argentine qui, quasiment seule, avait résolument choisi de préserver la vie, est pourtant elle aussi aujourd’hui sérieusement touchée.

La pandémie a en parallèle violemment secoué les économies et les sociétés. BID, FMI, OCDE, parmi d’autres institutions de prévision, ont ces dernières semaines annoncé des PIB latino-américains en capilotade. 2019 devrait être une année en négatif. Un minimum moyen de moins 10 %. L’OIT (Organisation internationale du travail) vient d’en tirer les retombées sociales. La région après avoir perdu, 9 millions d’emplois au premier trimestre 2020, 80 au deuxième trimestre, devrait encore en ajouter 60 au troisième. Avec comme conséquence, analysée par la CEPAL (Commission Économique des Nations-unies pour l’Amérique latine et la Caraïbe) un fort accroissement des personnes en situation de pauvreté, qui passeraient passer de 185,5 millions en 2019 à 230,9, soit 37,3 % de la population.

Tout cela sur un fond d’air politique cyclonique. La région, déjà en situation économique difficile, est agitée de mouvements politiques et sociaux rugueux. Les contradictions catégorielles opposant riches, et moins riches, aux pauvres et aux plus démunis, ont été à l’origine d’alternances brutales, de quasi-coups d’états, d’Argentine au Mexique en passant par la Bolivie, le Brésil et le Pérou. Des mouvements populaires puissants ont agité et agitent toujours, Chili, Colombie, Équateur. La violence politique, la violence policière, la violence délinquante accompagnent cette conjoncture politique et épidémiologique. C’est dans ce contexte que les Chiliens sont appelés à décider de leur avenir par référendum, le 25 octobre, les Boliviens et les Vénézuéliens à élire un président et un parlement les 18 octobre et 6 décembre. Suivis par les Équatoriens le 7 février 2021.

Comme si cela ne suffisait pas l’approche des présidentielles aux États-Unis a accentué les pressions de Donald Trump sur la région. Pressions visant à écarter le concurrent chinois, à réduire les importations latino-américaines, à tarir les flux migratoires, à couper les routes d’acheminement de stupéfiants, à donner satisfaction aux électeurs nord-américains d’origine cubaine. En quelques mois Donald Trump a bousculé le voisin mexicain, contraint de déployer des troupes sur la frontière nord et d’accepter une révision de l’ALENA (Accord de libre échange nord américain), tiré les oreilles de « l’ami » colombien, prié d’oublier l’accord de paix avec les FARC pour se concentrer sur la lutte contre le narcotrafic, étouffé financièrement le Venezuela, considéré comme une sorte de porte-avion chinois en Amérique du sud, réactivé le blocus de Cuba. Et afin que chacun fasse ses devoirs, les institutions multilatérales régionales sont tombées en domino tout au long de 2020 dans l’escarcelle de Washington : OEA (Organisation des Etats Américains), BID (Banque Interaméricaine de développement, CIDH (Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme)

Dans le message qu’il a adressé à l’ONU, le 22 septembre, consacré à la Chine pour l’essentiel, Donald Trump a malgré tout salué ses bons élèves latino-américains, le Mexique, le Guatemala, le Honduras et le Salvador, « pour leur partenariat historique dans la lutte contre les trafics humains » et tancé les résistants, Cuba, Nicaragua et Venezuela. Ballotés par les évènements les discours vidéo des gouvernants latino-américains ont reflété l’instabilité et la fébrilité du moment. Certains ont cherché à en appeler à des alliés hors zone. L’Argentin Alberto Fernández, a invoqué le Pape François, son homologue équatorien, Lenin Moreno, a remercié la Banque mondiale, le FMI et l’OMS. D’autres ont évoqué les valeurs qui inspirent leur politique. Le brésilien Jair Bolsonaro a indiqué que « le Brésil était un pays chrétien et conservateur, ayant pour fondement la famille ».  Le Mexicain, AMLO, Andres Manuel López Obrador, a placé son intervention sous les auspices de grandes figures historiques, Miguel Hidalgo, Benito Juarez, Benito Mussolini, Flores Magon, Francisco Madero, Emiliano Zapata. Tous ont saisi cette tribune exceptionnelle pour défendre leur bilan. Le chilien Sebastian Piñera s’est assez longuement exprimé sur la crise démocratique traversée par son pays. Le brésilien Jair Bolsonaro, s’est efforcé de répondre aux critiques internationales sur sa gestion de la nature et des forêts, en attaquant son voisin vénézuélien. AMLO a centré son propos sur son projet de Quatrième transformation du Mexique. Nicolas Maduro a vanté les résultats de vingt ans de politique bolivarienne. La plupart ont parlé agenda 2030 et développement durable. Ivan Duque, le Colombien, a centré son intervention sur la biodiversité. Alberto Fernandez, l’Argentin, Lenin Moreno, l’Équatorien, ont parlé de la Covid-19 et des mesures sanitaires et sociales adoptées par leurs pays. 

A l’exception de Jair Bolsonaro qui a fait l’éloge de la diplomatie des États-Unis, les uns et les autres ont signalé leur attachement au multilatéralisme, une inquiétude partagée sur le détricotage des amortisseurs construits par la société internationale depuis la création des Nations unies. 

Jean-Jacques KOURLIANDSKY