Martín Vizcarra, président du Pérou, évite la destitution mais reste fragilisé pour la fin de son mandat

Nommé à la présidence du pays en 2018 après la démission de son prédécesseur Pablo Kuczynski, Martín Vizcarra a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. Accusé de conflit d’intérêt dans l’affaire “Richard Swing”, il a finalement échappé à la destitution vendredi dernier lors d’un débat au Parlement à 78 voix contre 32.

Photo : La Semana

La justice soupçonne l’artiste, peu connu, d’avoir bénéficié depuis 2018 de contrats de complaisance pour présenter des conférences, dont une en pleine pandémie. Après avoir participé à la campagne du parti Peruanos Por el Kambioen 2016 où il rencontre Vizcarra, Richard Cisneros avait été reçu plusieurs fois au palais présidentiel. C’est la diffusion le 11 septembre de plusieurs enregistrements où l’on entend le président faire pression sur des témoins pour étouffer l’affaire qui avait déclenché la procédure de destitution. Ce scandale éclate au moment où le Parlement s’oppose à une proposition de réforme poussée par le gouvernement visant à empêcher toute personne condamnée de se présenter aux élections.

Cette crise politique n’est pas sans rappeler, dans une moindre mesure, les différents démêlés qu’on connut les prédécesseurs de Vizcarra avec la justice depuis les années 1990 principalement dans le cadre de l’affaire Odebrecht. Pedro Pablo Kuczynski avait par exemple démissionné en mars 2018 après qu’une motion similaire ait été présenté contre lui. La procédure contre l’ex-président suit toujours son cours tout comme celle engagée contre son prédécesseur, Ollanta Humala (2011-2016). On peut également citer Alan García (2006 – 2011) qui mit fin à ses jours en 2019 alors qu’il était sur le point d’être arrêté et Alejandro Toledo (2001-2006), en fuite depuis 2017, arrêté aux États-Unis puis relâché. Enfin, Alberto Fujimori (1990 – 2000) avait lui aussi fait l’objet d’une motion de censure pour “incapacité morale permanente” après la diffusion d’une vidéo montrant le chef des services de renseignement soudoyant un parlementaire de l’opposition.

Martín Vizcarra, qui avait conquis l’opinion publique en affichant son intransigeance face aux affaires de corruption, a affirmé être victime d’un “complot contre la démocratie” lors d’une allocution télévisée suivant les révélations. Il a d’ailleurs déposé un recours contre le parlement devant la Cour constitutionnelle. Son premier ministre, Walter Martos, avait accusé le parlement de “préparer un Coup d’État”. Une accusation reprise par le site d’investigation IDL-Reporteros qui révélait le 12 septembre que le président de l’Assemblée nationale, Manuel Merino avait tenté, sans succès, de contacter les forces armées pour obtenir leur soutien avant le déclenchement de la procédure de destitution. 

Bien que ces accusations aient été démentis par le principal intéressé, elles ont suscité de fortes réactions dans la classe politique et probablement pesées sur les décisions de certains députés. Martín Vizcarra a également pu compter sur le soutien des pays membres de la Communauté andine des nations. Jeanine ÁñezIván Duque et Lenín Moreno ont ainsi demandé au parlement péruvien, de voter contre la destitution du président dans le contexte de pandémie actuel. A l’ouverture des débats devant le Parlement vendredi dernier, Vizcarra s’est présenté “la tête haute et la conscience tranquille” lors d’un discours où il a une nouvelle fois évoqué un complot “mu par des intérêts politiques et électoraux”. Après dix heures de délibération, c’est bien l’opposition à la destitution qui l’a emporté avec 78 voix contre 32 et 15 abstentions. L’enquête, elle, continue mais Vizcarra ne pourra être poursuivi en justice que lorsqu’il quittera ses fonctions en juillet prochain tandis que les autres personnes impliquées dans l’affaire sont déjà inculpées.

Le président a pu au long de cette crise politique compter sur une opinion populaire favorable, 8 péruviens sur 10 voulaient le voir rester au pouvoir et 41 % considère sa conduite incorrecte mais pas grave”. Il doit cependant composer avec une situation sanitaire catastrophique, une opposition du Parlement et une réputation entachée qui pourrait compliquer la mise en place de son agenda anti-corruption. À sept mois des élections générales d’avril, sa fin de mandat s’annonce donc plus difficile que prévu.

Elise PIA