« Ma femme et moi, on s’entend bien » : la pandémie au Brésil vue depuis la Suisse

Le confinement, paraît-il, ce n’est pas bon pour les couples. À force de télé-travailler/cuisiner en mode fusionnel, certains ne peuvent plus se voir en peinture. Ma femme et moi, ça va, on s’entend bien. Il faut préciser qu’on est chacun d’un côté de l’Atlantique. Elle, au Brésil, — normalement, c’est là qu’on habite —, moi, à Genève — c’est aussi là qu’on habite à moitié. 

Photo :

Mon épouse, elle est repartie au Brésil, le 15 mars. Juste avant que tout ne s’arrête. Je devais la rejoindre le 15 avril. Plus d’avion. Bloqué en Suisse ! Depuis, on se téléphone tous les jours, mais ce n’est pas comme se toucher ou prendre le petit-déjeuner face à face. Ce n’est pas pareil. Le bon côté de la chose, c’est qu’on ne se marche pas sur les pieds au quotidien. C’est sûrement pour ça qu’on s’entend bien…Le Brésil, en ce moment, je dois bien l’admettre, ce n’est pas ma destination préférée. Mille morts chaque jour, là-bas, et une épidémie de corona qui ne fait pas mine de faiblir. On disait que le pic était attendu pour fin mai, puis pour mi-juin, maintenant, ce n’est pas avant juillet. Ça ne me plaît pas trop que ma femme soit au Brésil. Même si elle, ça va, elle se protège. D’après ce qu’elle me raconte, la vie de tous les jours, à Rio de Janeiro, près de la plage, ce n’est pas aussi dramatique que le disent les journaux. Mais on ne peut plus aller se promener sur la plage, à Rio de Janeiro. Ma femme, elle est confinée. Quand même, mille morts-Covid par jour, chaque jour au Brésil, ça fait désordre. Cumulés, on en est déjà à quasi 37 000 décès. Juste un peu moins que les États-Unis, premier classé de ce sinistre ranking mondial.

Bon, le Brésil, c’est un grand pays, 210 millions d’habitants. Mais tous les défunts ne sont pas catalogués corona-victime dans les statistiques. Les spécialistes estiment que l’épidémie a déjà tué au moins deux fois plus que ce qu’on dit. Le gouvernement Bolsonaro, lui, il ne veut pas le savoir. Il vient même de nous concocter une belle entourloupe pour ça : ne plus communiquer les chiffres cumulés des infections et des décès mais seulement ceux des dernières 24 heures. Du coup, le 4 juin, il y avait officiellement 34 021 morts, le 5 juin, 1 005 ! « C’est pour ne plus alimenter les mensonges de la télévision Globo », clame Bolsonaro. Ça ressemble plutôt à cette façon qu’ont les petits enfants de se mettre les mains devant les yeux pour faire croire qu’on ne peut plus les voir. Infantile, l’entourloupe à Bolsonaro. D’ailleurs, il a déjà dû revenir en arrière.

Jair le Président” a déboulonné ses deux ministres de la Santé à la suite. “Mandetta-qui-parlait-trop” parce qu’il ne voulait pas lever le confinement, “Teich-le-Bref”, parce qu’il résistait à administrer la chloroquine à tout va. C’étaient des ministres-médecins. Le nouveau, celui par intérim, mais dont le président dit qu’il va bénéficier d’un long CDD, c’est un général. Spécialiste de la logistique. Ah bon ? C’est peut-être pour organiser la distribution de chloroquine dans la population, afin qu’elle fasse comme “Jair le Prophète” qui prend désormais la petite pilule antipaludique pour se garder du corona.

Le Brésil est en guerre ! Comme la France dont “chef-Macrondétient le copyright de la formule. Mais le Brésil ne guerroie pas contre le virus. “Jair Le Coq” combat ses ennemis intérieurs. Dont ceux qui critiquent sa politique sanitaire. Ces gouverneurs des États qui s’évertuent à laisser les gens à la maison pour les empêcher de retourner au travail, par exemple. Prenez de l’hydroxychloroquine et circulez, tonne “Jair-qui-sait-tout”. Il dit que ça marche puisqu’il ne tombe pas malade, quand il s’en va prendre des bains de foule sans masque, chaque dimanche. Le Brésil est en guerre, c’est pour ça, sûrement, que le ministre de la Santé par intérim qui va rester longtemps est un général.

Les subordonnés-militaires du ministère de la Santé, eux, ils se grattent la tête pour savoir s’il leur faut faire comme leur chef, prendre de l’hydroxychloroquine à titre préventif. Parce que le corps médical affirme que ça ne sert pas à grand-chose contre le corona. La chloroquine, par contre, ça provoquerait des effets secondaires pas recommandables du tout. Il y a controverse. “Jair-le-Paon” n’en a cure. Le Plaquénil, a-t-il décrété, c’est bon pour le Brésil. Ma femme, elle, elle ne prend pas de Plaquénil préventif, mais elle écoute attentivement ce qui se murmure au Brésil à propos de “Jair-l’Imprévisible”.

Il paraît qu’il sait ce qu’il fait. S’entourer d’une caste de galonnés et l’arroser de faveurs pour se garantir le pouvoir et arroser d’aumônes-corona les périphéries pauvres pour s’acheter les suffrages dont il a besoin. Il fait exactement comme Nicolás Maduro au Venezuela. Lui et l’autre se détestent, ils sont aux antipodes idéologiques, mais pourtant, ils font la même chose. Une chose qui a un nom connu : le populisme !

Pour ce qui est de l’aspersion des pauvres, on appelle ça la technique de l’hélicoptère. Saupoudrer la cible, l’enfariner juste ce qu’il faut, quand il le faut, mais pas trop ni trop souvent. “Jair-le-Magnanime” la pratique en symbiose avec les prédicateurs évangéliques, dans les favelas. Eux sont en charge de transmettre les ordres de Dieu, Dieu qui punit les hommes avec ce virus parce qu’ils ont pêché. En paquet-cadeau pour la rédemption, il y a la parole éclairée du président du Brésil.

Moi, le Brésil, dans ces conditions, il ne me fait pas trop envie au milieu de cette corona-bataille. Ce n’est pas un bon plan, juste maintenant, sauf si c’est pour aller retrouver ma femme. Mais il semble que je ne vais pas en avoir besoin. Aux dernières nouvelles, c’est elle qui va pouvoir venir me rejoindre. Les frontières se décrispent, les avions revolent… D’ici une à deux semaines ma femme et moi, on pourra de nouveau petit-déjeuner face à face. C’est quand même mieux que de se téléphoner tous les jours. Pour le Brésil ? Ça va attendre des jours meilleurs. On a le temps, ma femme et moi, on s’entend bien…

Jean-Jacques FONTAINE
Vision Brésil