Les inégalités sociales entravent la lutte contre la pandémie. À Santiago, un nouveau ministre de la santé est nommé

Un nouveau ministre de la santé vient d’être nommé à la suite de la démission de Jaime Mañalich, très contesté dans la gestion de la crise sanitaire. Le Chili a été l’un des premiers pays en Amérique latine à décréter en février dernier l’état d’urgence sanitaire préventif. Mais si les quarantaines «modulables » ont atteint leur objectif dans les quartiers aisés, elles se sont révélées bien moins efficaces dans les quartiers sensibles surpeuplés.

Photo : Ministerio de la Salud e Chile

Après plusieurs années de stabilité économique, les inégalités sociales se sont accentuées au Chili, où la classe moyenne était l’une des particularités du pays. Le taux annuel de croissance de 7 % des années 1997-2000 lui avait valu à l’époque le titre de « tigre de l’Amérique latine ». Mais depuis les manifestations de mécontentement dans les rues, il y a six mois, la crise politique et sociale se poursuit et s’aggrave davantage à cause de la crise sanitaire. Ces derniers jours le chômage et la propagation de la contamination ont connu une inquiétante accélération. 

Selon l’évaluation du Centre d’études de l’Université Catholique au Chili, en un mois le pourcentage de sans-emploi a augmenté de 2,2 points par rapport à la dernière semaine d’avril. Sous l’effet de la récession le chômage a atteint 11,2 % de la population dont 2,5 % à cause des licenciements. L’autre grand sujet de préoccupation est la progression exponentielle des contagions dans ce pays classé quatrième plus touché d’Amérique latine.

Les causes ont été clairement identifiées par Soledad Barria, directrice de santé à l’université du Chili. L’ex-ministre de la Santé sous le premier mandat de Michelle Bachelet (2006-2010) a reconnu « Deux aveuglements très importants de la part du gouvernement qui ont affecté la courbe des infections. Premièrement, le gouvernement n’a pas anticipé ou reconnu les inégalités profondes de notre pays. Deuxièmement, nous n’avons pas vu l’intérêt de travailler sur les premiers soins afin de centraliser la stratégie de suivi de la contagion. » Voici ce que déclarait il y a sept mois le président Sebastián Piñera lors d’une allocution télévisée alors que les émeutes secouaient l’Équateur et que le Venezuela s’enfonçait dans la crise : « au milieu de cette Amérique latine en convulsion, nous voyons que le Chili est une véritable oasis, avec une démocratie stable ». Ce propos date du 8 octobre 2019. Dix jours plus tard le modèle économique et social était massivement contesté dans les rues, et les manifestants violemment réprimés. À présent, le manque de prévention en amont de l’épidémie assombrit davantage l’horizon andin puisque, selon les scientifiques, on est encore loin d’avoir atteint le pic de contagions.

Le gouvernement de M. Piñera se félicitait, fin avril, d’avoir atteint un « plateau » sur la courbe d’infections (16 000 infectés et 230 décès). Au même moment le président annonçait une réouverture progressive des activités. Ce propos « visionnaire » du milliardaire homme d’affaires  rappelle les déclarations d’homologues latino-américains et autres responsables politiques, et ces chiffres ne répondent jamais à la réalité. Voilà pourquoi les gouvernants sont de plus en plus discrédités, et par preuve l’évolution du nombre de victimes un mois après l’annonce d’un possible retour à la normalité : le 31 mai, selon les chiffres officiels, le Chili avait dépassé le cap de 100 000 contaminations et 1 000 morts, le 8 juin on comptait 1 637 décès et le 11 juin près de 6 000 cas ont été détectés en une seule journée, ce qui a fait grimper à 150 000 le nombre de personnes infectées et à près de 2 500 celui des décès. 

Le ministre de la Santé, Jaime Mañalich, ignorait complètement la réalité des quartiers pauvres de la capitale Santiago, où vivent sept des dix-huit millions de Chiliens. Il a admis, le 28 mai, ne pas être conscient de l’ampleur de ce qui est considéré comme un facteur déterminant de la propagation du virus : la surpopulation dans les quartiers périphériques. Depuis son élection le gouvernement a négligé les besoins des plus nécessiteux, principal foyer épidémique aujourd’hui où l’accès à un emploi formel, ou la possibilité de télétravail, restent encore des concepts abstraits dans le plan social gouvernemental, malgré les promesses de campagne. 

Après un premier mandat de quatre années, et une réélection en 2018, la constatation est accablante pour l’administration de M. Piñera. Et la gravité de la situation socio-économique a décidé le président à faire appel au Fonds monétaire international. Pays faiblement endetté, le Chili a pu ainsi bénéficier d’un crédit dit « de précaution » de 23,8 milliards de dollars sur une durée de deux ans, ce qui équivaut à environ 8 % du PIB annuel. 

Ce dispositif du FMI est très peu utilisé. Seuls trois États l’ont sollicité jusqu’à présent, parmi lesquels la Pologne. Il diffère des crédits classiques imposant les catastrophiques plans d’ajustement bien connus dans le Cône Sud et un peu partout ailleurs. Mais, contrairement au crédit que le Fonds vient d’octroyer à l’Équateur*, ce prêt « permet de prémunir les pays contre les chocs extérieurs », d’après un communiqué du FMI précisant qu’il est fourni aux pays présentant « des antécédents économiques très solides pour prévenir et résoudre des crises ».

Or, selon les analystes, l’aspect financier de la crise chilienne est directement lié à la baisse de la croissance en Chine doublée de la «guerre économique » qui oppose Pékin aux États-Unis. Ainsi le flux de devises de l’exportation de minerais a été jugulé par le désaccord commercial entre les deux premières puissances de la planète. Le sol chilien est riche de toute une gamme de minéraux (manganèse, cobalt, uranium, or, argent, etc.) mais le cuivre, son « or rouge », est le sang des entrailles transandines.

Le cuivre représente la moitié des exportations du pays. Lorsque des séismes socio-politiques risquent d’éclater, c’est vers les contreforts des Andes que l’attention du marché de la finance internationale se focalise.  Depuis le début du XXe siècle, les fonderies chiliennes ont produit la majeure partie du métal rouge exporté dans les pays occidentaux. Et si les prévisions des scientifiques annoncent que le pic de contagions n’a pas encore été atteint, les prévisions des économistes ne sont pas non plus très encourageantes. Le Chili, comme l’Amérique latine en général, doit s’attendre à la pire récession de son histoire d’après un rapport d’une agence de l’ONU, la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes. Les effets de la pandémie pourraient ainsi provoquer une contraction de l’économie régionale de l’ordre de 5,3 %, soit vingt-neuf millions de pauvres en plus !

Eduardo UGOLINI

* Lire l’article publié le 19 Juin 2020 : Les pompiers-pyromanes du FMI