La pandémie en Amérique du Sud : cadavres sur les trottoirs en Équateur, maîtrise de la maladie au Pérou et au Chili

Une force spéciale a été mise en place par les autorités de Guayaquil en Équateur : elle a recueilli, samedi 11 avril, les corps de 700 personnes mortes dans la semaine et dont les dépouilles avait été entreposées dans la rue faute de place dans les cimetières et les morgues. Il est devenu pratiquement impossible dans le principal port du pays (2,6 millions d’habitants), situé sur la côte Pacifique, de gérer ces décès à la chaîne (dont tous ne sont pas d’ailleurs le résultat de l’épidémie du COVID-19). 

Photo : ANF

L’alerte a été donnée dimanche 5 avril par une dépêche de  l’AFP : « Guayaquil s’est réveillée aujourd’hui avec des trottoirs jonchés de cadavres emballés dans des sacs plastiques. Les autorités locales ne savent plus quoi faire pour enterrer les victimes du coronavirus. […] Rosa Romero, 51 ans, a perdu son époux, Bolivar Reyes, d’un infarctus, apparemment sans lien avec le coronavirus. Elle a dû attendre jusqu’au lendemain avant que le service de médecine légale vienne retirer le corps de son mari. Une semaine après, elle ne sait toujours pas où il se trouve. Il n’était enregistré nulle part. »

L’Équateur a vu déferler plus massivement et plus rapidement qu’ailleurs l’épidémie de coronavirus : « le premier cas de contagion, le patient zéro, c’est vraisemblablement une femme de 71 ans arrivée par un vol en provenance de Madrid », affirme le quotidien El Mundo. « Elle a débarqué le 14 février pour rendre visite à sa famille, qui a organisé une fête gigantesque pour l’accueillir. Une semaine plus tard, la tragédie a commencé. » Zéro malade le 13 février, 3 995 le 7 avril, et 220 morts. Aujourd’hui, selon les chiffres de la John Hopkins University, l’Équateur comptabiliserait 11 183 cas de contamination et 560 morts, soit un taux de létalité (nombre de morts par rapport au nombre de malades diagnostiqué) de 5,01 %. Ce chiffre est cependant trompeur, écrit le quotidien El Mundo : il y aurait trois fois plus de décès, 1 291, si l’on ajoute aux cas fatals liés au coronavirus les cas de déficience respiratoire. Parmi eux, quatre-vingts médecins. 

Dans une allocution, le président Lenín Moreno a présenté ses excuses « pour cette situation inacceptable » et tous ces cadavres qui ne cessent de s’aligner sur les trottoirs. Le chef de l’État équatorien a reconnu que la crise du coronavirus « était plus grave que prévu ». Manque de prévision et manque de moyens sanitaires se sont accumulés, il va être difficile pour l’Équateur de rattraper le retard. 

Manaus : le syndrome de Guayaquil

Depuis quelques jours, la métropole brésilienne de l’Amazonie (2,3 millions d’habitants) connaît un phénomène identique à la catastrophe de Guayaquil. Des cadavres ont là aussi commencé à faire leur apparition dans l’espace public. Une vidéo amateur montre des corps de patients décédés posés sur les brancards des ambulances, à même la rue, devant l’entrée des urgences de l’hôpital João Lúcio dans la zone est de la ville. Peu après la diffusion de ce document sur les réseaux sociaux, un container frigorifique a fait son apparition qui sert désormais à entreposer ces dépouilles. « Il faut absolument éviter que ce virus sorte des villes, notamment de Manaus, et vienne infecter les communautés rurales qui vivent dans la forêt amazonienne comme cela est déjà en train de se produire dans certaines tribus indigènes », alerte le géographe Wagner Ribeiro. « Malheureusement, cela ne semble pas l’objectif du gouvernement. »

1 593 malades recensés dans l’État d’Amazonas, le taux de létalité y est particulièrement élevé : 8,4 % contre seulement 7,1 % à São Paulo. Là aussi, les pouvoirs publics se sont visiblement laissés prendre de vitesse par l’épidémie. Désormais, les autorités locales creusent des fosses communes pour ensevelir les morts du coronavirus.

La stratégie gagnante du Pérou face au Covid-19

À l’inverse de l’Équateur et du Brésil, le Pérou a décrété une quarantaine générale et obligatoire dès le 15 mars. Dans le même temps, il a fermé ses frontières. Il a été le premier pays d’Amérique latine à le faire. Pourtant, il n’y avait encore que 71 cas déclarés de coronavirus et aucun mort. Ce confinement précoce s’est tout de suite accompagné de mesures pour aider les plus défavorisés : des subventions pour les familles et pour les travailleurs autonomes du secteur informel, des avances sur salaire et le gel temporaire des intérêts dus par les entreprises.

« La politique du président Martín Vizcarra pour combattre la pandémie s’est clairement orientée vers le renforcement de la citoyenneté avant toute autre considération», peut-on lire sur le site de la BBC en Amérique latine. Pour le moment, il semble que la stratégie du Pérou fonctionne. Le nombre de cas reste relativement bas, les mesures gouvernementales anticipent le développement de l’épidémie et la population respecte les mesures draconiennes de confinement, malgré ce qu’elles imposent à chacun au quotidien. Actuellement, le Pérou compte 20 914 cas déclarés de coronavirus, mais seulement 572 morts, soit un taux de létalité de 2,74 %.

Au Chili également

Au Chili, la pandémie semble également sous contrôle. À l’heure actuelle, elle a fait encore très peu de victimes : 168 morts pour 11 812 cas déclarés de maladie. Les autorités de Santiago ont imposé le confinement lorsque les cas de Covid-19 ont atteint le nombre de 75 (en Italie, il a fallu attendre 3 000 cas pour prendre la même mesure). Le nombre d’infections confirmées est relativement élevé, mais le taux de létalité est le plus bas de la région : 1,42 %. Cela s’explique par la quantité élevée de tests de dépistage pratiqués au Chili : 3 000 par jour. C’est le chiffre le plus élevé par habitant de toute l’Amérique latine. Le Chili n’est pourtant pas encore tiré d’affaire. Il attend le pic de l’épidémie pour la fin du mois d’avril alors que ses structures sanitaires présentent encore une grave faiblesse : le manque de respirateurs pour traiter les patients les plus atteints.

Cette bonne gestion de la crise sanitaire au Chili a cependant valu au président Sebastián Piñera, contesté dans la rue depuis des mois pour sa gestion ultralibérale du pays, une remontée de sa popularité : début janvier, seuls 6 % des Chiliens lui accordaient leur confiance, ils seraient maintenant 21 % à le faire selon le site d’information de la Deutsche Welle.

Jean-Jacques FONTAINE