Vincent Monadé, directeur du Centre national du livre raconte son confinement… sur le site de Livres Hebdo

Le site de Livres Hebdo propose cette semaine une série de témoignages dont celui de Vincent Monadé, président du Centre national du livre qui raconte. « Le lundi 16 mars au soir, tard, nous avons fermé le Centre national du livre. Tous les agents qui devaient télétravailler sont partis avec un portable, les volets ont été clos, les poissons nourris. Et le silence est tombé sur la maison de Jean Gattégno ».

Photo : France Inter

Depuis, nous continuons de travailler. Lorsque le coronavirus a pointé le bout de son vilain nez, nous étions en plein dans les premières commissions de l’année destinées aux aides à la chaîne du livre. Nous avons été confinés, beaucoup restait à faire pour payer les bénéficiaires. C’est fait en ce moment même, grâce aux agents du Centre, soucieux que les professionnels soient payés comme ils auraient dû l’être dans un monde normal, un monde où les gens s’embrassent, se saluent et s’entassent dans le métro.

Règlement modifié

Deux fois, les administrateurs du CNL se sont réunis, à distance et par mail, pour tenir des conseils d’administration destinés à accompagner au mieux les professionnels pendant cette crise. Notre règlement a été modifié pour que les auteurs, les libraires, les éditeurs, les bibliothécaires, les organisateurs de salons ne soient pas pénalisés par l’arrêt net de la suite des jours comme nous la connaissions. Depuis, je vis seul. Mes filles et mon fils sont chez leurs mères. Mon chien a traîtreusement choisi d’être confiné avec ma cadette. Je reste chez moi. J’ai des livres pour dix ans. Chaque jour, j’imagine le silence sidéral des locaux vides, je regrette les bruits de ruche. J’ai commencé, sur Twitter, à poster des vidéos sur la lecture, recommandant des livres aimés car il faudra bien qu’elle reprenne, la vie.

Nous avons lancé la consultation des professionnels du livre pour mettre en œuvre le fonds d’urgence de cinq millions d’euros, financé sur son fonds de réserve par le CNL et décidé par Franck Riester, notre Ministre de la Culture. Ma conviction est que le redémarrage sera lent, et difficile. Nous vivons un traumatisme collectif dont nul ne connaît encore l’ampleur, ni ce qu’il produira. Imaginer que, le confinement fini, les lecteurs se précipiteront à nouveau dans les librairies indépendantes pour acheter des livres est mon plus grand espoir ; prévoir l’inverse, avec ce plan d’urgence, notre devoir.

Reprise en juin ou en septembre ?

En ces moments où je vis avec moi-même, je pense aux auteurs, à leur fragilité économique, leurs difficultés bien connues, leurs inquiétudes, aux libraires et aux éditeurs avec lesquels je suis en contact permanent. Le Ministre a présenté un plan fort, nous devrons y prendre toute notre part. Des milliers d’auteurs sont sans revenus, les librairies sont fermées durablement, les éditeurs repoussent leur programme de parution, des livres qui venaient de sortir semblent sacrifiés, certains se demandent si la reprise aura lieu en juin ou seulement en septembre. Voici les questions qui sont devant nous. Les mesures gouvernementales sont essentielles, il faut penser l’après, le redémarrage.  Il sera lent, douloureux ; le risque de crise est là.  

Les solutions apportées, les aides versées, nous reviendrons ouvrir grandes les portes et les fenêtres de la veille maison. Et nous vous inviterons, tous, à célébrer le printemps, le livre, la vie dans les jardins et la cour du CNL. Nous boirons du vin, fumerons des cigarettes, jouirons du seul bonheur d’être ensemble. Mais nous n’oublierons pas, nous n’oublierons jamais ceux que nous avons perdus, comme Denise Millet, illustratrice jeunesse, tuée par le Covid le 28 mars 2020. Ils seront là, parmi nous.

Souvent, on m’a demandé un mot pour définir le CNL. Cette maison que j’aime tant me lançait dans d’interminables explications. Ce mot, le confinement me l’aura donné. Quand je vois les agents travailler à distance, échanger, produire, la directrice générale du Centre, Emmanuelle Bensimon, garder ses enfants, préparer avec moi les conseils d’administration, travailler avec le ministère et moi au plan d’urgence, c’est un mot simple, un verbe qui me vient pour dire le CNL : servir.

D’après Livres Hebdo