Des discours extrémistes violents menacent le processus de paix en Colombie

L’histoire des échecs des processus de paix en Colombie couvre au moins une décennie de tentatives entre 1981 et 2002. Il n’empêche que le processus en cours aujourd’hui apporte un modeste espoir d’aboutir à une situation de paix et de sécurité, pas seulement en Colombie mais dans toute la région.

Photo : El Tiempo de Bogotá

Ce qui différencie le processus actuel des autres qui l’ont précédé, c’est qu’il ne se limite pas à un «  cessez-le-feu bilatéral et définitif et à des hostilités », mais inclut aussi des dispositions destinées à transformer les causes du conflit colombien si complexe. On le dit «  complexe » parce que les contradictions qui seraient d’ordre politique a priori (extrême droite/extrême gauche) s’accompagnent d’un conflit économique pour la détention de la terre et son usage (élevages extensifs et cultures illicites face à l’agro-industrie et au développement). Ainsi l’originalité de cet accord est-elle d’inclure une réforme agraire intégrale et la substitution manuelle des cultures illicites par d’autres produits moins rentables, quasi une utopie.

De fait, en octroyant le prix Nobel de la Paix au président Juan Manuel Santos pour les efforts qu’il avait déployés pour mener à bien le processus, le comité du Nobel voulait encourager un accord qui était, hélas, sur le point d’échouer : le peuple colombien venait de le rejeter à travers le plébiscite du 2 octobre 2016. Et cet échec survint après une campagne publicitaire, financée par des particuliers, qui consistait, entre autres, en l’exaltation d’une homophobie propre à certains secteurs catholiques et chrétiens et en tergiversations sur une «  focalisation sur le genre » attribuée au texte, qui ne cherchait pourtant rien d’autre qu’à reconnaître l’impact, distinct, du conflit sur le corps des femmes.

La propagation de ces appels à la haine est en train de prendre des proportions insoupçonnées dans l’étape actuelle du processus : on ne prête aucune attention à la prolifération d’un discours extrémiste violent qui se traduit par des pamphlets menaçants diffusés dans tout le territoire et spécialement dans les zones abandonnées par l’ex-guérilla. Ces discours se propagent en outre à travers les réseaux sociaux, où l’on va même jusqu’à célébrer les menaces et les homicides des leaders sociaux qui pourraient commencer à devenir massifs et systématiques. Bien qu’il n’y ait pas de consensus sur le chiffre, on estime à plus de 950 les homicides de ces défenseurs de l’accord de paix.

Il s’agit donc maintenant d’une situation que l’on voyait venir, vu que ce même accord inclut un point sensible qui s’intitule «  À propos des garanties de sécurité et de la lutte contre les organisations criminelles », responsables d’homicides et de massacres ou portant atteinte aux défenseurs des droits humains, aux mouvements sociaux et politiques, y compris les organisations criminelles considérées comme succédant au paramilitarisme et à ses réseaux de soutien, et la poursuite des conduites criminelles qui menacent la mise en place des accords ou la construction de la paix. D’ailleurs ce point 3.4 de l’accord est un des deux pour lesquels a été sollicitée la vigilance du Conseil de sécurité des Nations Unies, tout comme le point 3.2 qui traite de la réincorporation des ex-combattants.

Si la mission de ce conseil signale des avancées sur le point 3.2 (réincorporation), elle observe un réel phénomène de stigmatisation de ces ex-combattants tout en reconnaissant un pourcentage «  relativement acceptable » d’application de l’accord. Quant au point 3.4, dans les conclusions non seulement de cette mission mais aussi de multiples ONG et de partis politiques variés, le panorama est désolant : on ne voit aucune avancée sur l’identification des auteurs des faits criminels.

C’est ainsi que pleuvent les critiques à l’encontre du gouvernement du président Iván Duque Márquez, élu par le parti politique qui a mené la campagne pour le « Non » au plébiscite et dont les intellectuels qui le soutiennent exigent qu’il « réduise en miettes cet accord de paix». Cependant, le gouvernement a fait preuve d’une certaine modération dans sa gestion et de quelques initiatives favorables à la consolidation, comme d’avoir décidé de convoquer un grand débat (conversación) national, ainsi que, de facto, le prévoyait l’accord.

Au-delà des tentatives ou des maladresses du gouvernement d’Iván Duque, la vision de la sécurité telle qu’exprimée dans l’accord est atteinte de myopie : on y considère la sécurité comme une problématique qui doit s’aborder depuis la force publique sans prendre en compte les facteurs intrinsèques que favorisent les cultures guerrières ou les cultures de paix.

Angélica MANGA TINOCO*
Traduit par Claire Durieu
x

*Angélica Manga Tinoco est avocate, diplômée en droit de l’université des Andes à Bogotá, analyste des situations culturelles et de la gestion des conflits.