8 mars : Femmes en Amérique latine : « Yo también ! » Moi aussi ! Entre ombres et lumières

Ce 8 mars en Amérique latine, comme ailleurs dans le monde, les sociétés sont invitées à faire leur examen de conscience sur la place qu’elles réservent aux femmes. Cette année elle se mobilisent, parfois de façon spectaculaire…

Photo : Andres Martínez Casares

Ce 8 mars 2020 s’annonce en ombres et lumières entre Río Grande et la Terre de feu. Certes les femmes, sur le papier, y sont des citoyen.ne.s comme les autres. Le droit de vote leur a été accordé parfois bien avant les pays dits avancés, en démocratie comme en économie. Les femmes équatoriennes ont accès aux urnes depuis 1927, et celles du Brésil, de Cuba, de l’Uruguay, du Salvador, depuis les années 1930. Mais la cause des femmes a-t-elle progressé sur les autres terrains où l’égalité tarde à leur être reconnue ?

Beaucoup de femmes latino-américaines en 2019 comme en ce début 2020 crient bien haut que non. Elles se mobilisent parfois de façon spectaculaire, comme les porteuses de foulards verts en Argentine, ou au Mexique les femmes qui ont décidé d’organiser cette année le 9 mars une journée sans elles, « Un día sin nosotras ». Un collectif de femmes chiliennes, « Las Tesis », a fait l’unanimité continentale en popularisant un hymne anti-machiste dans le feu des manifestations commencées le 18 octobre 2019. Peu de temps avant le 25 novembre, « Jour de combat contre les violences faites aux femmes », leur chanson a traversé les Andes et les Océans, et a été adoptée par leurs suiveuses en Australie, en Espagne, en France. La première strophe résume le message : « Le patriarcat est un juge/ Qui nous condamne à la naissance/Et notre châtiment/C’est la violence, tu vois/… »

Sur bien des points la parité n’est pas acquise. Égalité salariale, présence dans la vie politique, droit à la gestion de leur corps, sur toutes ces questions il y a quelques petits progrès. À formation de base égale (13 années d’études), les femmes percevaient encore en 2016, selon la Cepal (Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes), un salaire de 25,6% inférieur à celui des hommes. L’ONU Femmes, en particulier grâce à son bureau régional au Panama, sensibilise gouvernements et acteurs sociaux sur l’objectif de réduction des discriminations. Santiago du Chili a accueilli du 4 au 8 novembre 2019 la XIVème Conférence régionale sur les droits de la femme. Pour quels résultats ?

L’IVG pourrait revenir à l’ordre du jour du parlement argentin en 2020 et être cette fois-ci adopté. À l’issue d’un débat tumultueux et confus, le Sénat en avait bloqué la possibilité en 2019. Ce serait un pas important dans une Amérique latine où seuls Cuba, l’Uruguay, et la Ville de México, reconnaissent ce droit. Ailleurs, au Brésil, au Chili, il fait l’objet de conditionnements en limitant sa portée, ou reste encore pénalisé comme en Bolivie, en Équateur, au Nicaragua, ou au Salvador.

Les législations protégeant les femmes des violences domestiques ou autres sont plus généralisées. De 2002 à 2015, l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, l’Uruguay, le Venezuela, en tout 24 des 33 pays d’Amérique latine, se sont dotés de législations visant à éliminer la violence de genre. Mais l’application de ces dispositifs, nécessaires, laisse à désirer. Les taux de féminicides sont parmi les plus élevés du monde. 10 femmes meurent victimes de leur conjoint chaque jour au Brésil et au Mexique. L’Observatoire latino-américain pour l’égalité des genres a recensé pour 2018, l’assassinat de 3287 femmes, dont 1206 au Brésil et 898 au Mexique. Le nombre de crimes pour 100 000 femmes est particulièrement élevé au Salvador, au Honduras, en Bolivie, au Guatemala et en République Dominicaine. Réalité qui a justifié la question posée par une chercheuse : cette monstruosité est-elle le résultat d’un vide légal ou d’un déficit de l’État de droit[1] ?

Tout pour autant n’est pas négatif.  La représentation féminine dans les Assemblées législatives s’achemine, doucement, vers un possible équilibre. Les femmes députées étaient en 2019 en moyenne 32% : bien représentées  en Bolivie (53%), au Mexique (48%), au Costa Rica (46%) et au Nicaragua (45%); en position honorable en Équateur (38%), en Argentine (39%), au Salvador (31 %) et au Pérou (30%); mais on était loin du compte en République Dominicaine (27%), au Chili  (23%), en Uruguay (22%) au Venezuela (22%), au Honduras et au Panama (21%), en Colombie et au Guatemala (19%), au Brésil et au Paraguay (15%).

Toutes ces choses justifient le Yo también (Moi aussi) des militantes féministes, préoccupées et mobilisées par la non application des législations protectrices existantes pour condamner les violences de genre, et par la sourde oreille de gouvernements qui, sous la pression de l’ensemble des confessions, rechignent à affronter l’interruption volontaire de grossesse, ou même comme Andrés Manuel López Obrador à se saisir du problème, sans oublier les propos régressifs et machistes tenus au Brésil par le président élu en 2018, Jair Bolsonaro.

Jean-Jacques KOURLIANDSKY


[1] Celeste Saccomano, « El feminicidio en América Latina : ¿ vacío legal o déficit del Estado de derecho? », Barcelona, Revista CIDOB d’Affers internacional, décembre 2017.