« Tout pour la patrie » de l’écrivain argentin Martín Caparrós

Martín Caparrós, on le sait, adore varier, sa création le prouve : après La faim, un prestigieux essai-reportage réalisé dans le monde entier et À qui de droit, un roman émouvant sur la résilience, voici un roman policier et historique qui se passe en Argentine en 1933, époque de crise économique (celle de 1929) et de richesses intellectuelles.

Photo: Alvaro Delgado

Le football est déjà un art, ou du moins une religion, le tango s’affirme, le roman et la poésie ont leurs vedettes, Ricardo Güiraldes, Victoria Ocampo, Jorge Luis Borges. Et la viande de bœuf est incomparable. Bernabé Ferreyra, star d’une des meilleures équipes de Buenos Aires, s’est brusquement retiré dans un endroit discret où il est né : serait-ce à cause de certains détails embarrassants (il semble qu’il ne dédaignerait pas de consommer des substances illicites, tout le milieu est au courant mais personne n’en parle)? Quand la jeune Mercedes Olivieta, fille d’une des familles connues et probable petite amie de Bernabé est retrouvée morte dans son lit, il ne reste plus qu’à notre narrateur, Andrés Rivarola, jeune homme oisif et universellement considéré comme incapable, de tenter de découvrir le fin mot de l’histoire, assisté par Raquel, une jolie Juive d’origine russe qui a de solides connaissances sur la société portègne.

Une fois la chose engagée, tout roule. Andrés, qui ne brille pas par son habileté, visite le café de la rue Florida fréquenté par les écrivains bien élevés, manque de peu Roberto Arlt, le journaliste mal élevé et génial, peut entrer dans un couvent de nonnes cloîtrées… De multiples occasions de découvrir Buenos Aires dans les années 30, bouillonnante, multiple.

La victime, jeune héritière d’un papa ruiné proche des fascistes, devenus à la mode en ces temps du règne de Mussolini et de l’élection de Hitler, s’est-elle vraiment suicidée ? Dans le cas contraire, qui a pu l’égorger ? Autour d’elle Andrés découvre beaucoup de zones troubles, de magouilles politico-financières touchant le football. Les gens véreux ne manquent pas et les menaces de plus en plus inquiétantes entourent notre pauvre enquêteur qui commence à se demander ce qu’il fait là, d’autant plus qu’il pourrait bien entraîner dans sa chute la belle Raquel.

Les années 30 en Argentine ressemblent considérablement à notre époque, crise économique, libération de la femme, encore timide, ragots rapportés par une certaine presse, progrès d’une extrême droite qui ne croit plus utile de rester discrète, haine de ses partisans envers les journalistes, valeurs morales qui se gomment peu à peu.

Comme toujours, Martín Caparrós domine à la perfection son récit : sa hauteur de vue donne à l’intrigue policière une force qui, loin de l’alourdir, l’enrichit; l’humour discret est partout, insistant sur la dérision de tout ce qui est humain. Une lecture de choix !

Christian ROINAT

Tout pour la patrie de Martín Caparrós, traduit de l’espagnol (Argentine) par Aline Valesco, éd. Buchet-Chastel, 288 p., 21 €.

Martín Caparrós en español: Todo por la patria / El enigma Valfierno, ed. Planeta Los living / A quien corresponda / El hambre, ed. Anagrama.

Martín Caparrós en français : Valfierno / Living / La faim / À qui de droit, éd. Buchet-Chastel.