Le roman « Fugue mexicaine » de Chloe Aridjis fille de l’écrivain et diplomate Homero Aridjis

À 17 ans Luisa, étudiante plutôt sérieuse, a quitté la demeure familiale pour suivre Tomás, un garçon qu’elle connaît à peine, fascinée plus que séduite par ce jeune homme original. Elle est la fille d’un professeur parfois un peu pesant et d’une mère traductrice un peu trop absente. On est en 1988, trois ans après le tremblement de terre qui a détruit des quartiers entiers de Mexico et laissé presque intacte la petite maison occupée par la famille. Comment Luisa a-t-elle franchi le pas ?

Photo : the-tls

La plage de la côte pacifique au bord de laquelle elle traîne peut passer pour un de ces « endroits paradisiaques » que vantent les agences de voyages, elle peut aussi sembler menaçante : ses courants à drapeaux rouges, son nom même, dont on a oublié la véritable étymologie, Plage des Morts ou Lieu à papillons ? Luisa n’arrive pas à se faire une idée. Elle en est au même point que Tomás qui l’a entraînée là. Les eaux du Pacifique sont-elles pures ? Renferment-elles des monstres ? Ressemblent-elles à celles de Cythère qui, elles, on le sait, renferment des statues grecques échouées lors d’un naufrage il y a des milliers d’années ? Et ces nains ukrainiens dont les journaux ont parlé sont-ils tout à côté de ce couple bizarre que forment, ou ne forment pas, Luisa et Tomás ?

Pour la jeune fille, rien n’est fixé, solide. Les phrases, souvent poétiques, de Chloe Aridjis, donnent ce vertige doux, doucement coloré, qui permet au lecteur de partager les doutes de Luisa, la plongée qui pourrait être brutale dans une soirée de lutte libre (mais n’est-on pas dans les jeux de la Rome antique ?) ou dans une discothèque mexicaine branchée (qui n’est pas loin de l’orgie romaine) en sont des exemples.

À travers ces images si fortes, l’auteure crée un tableau hyperréaliste de la petite bourgeoisie mexicaine de ces années 1980. Le désenchantement est partout, la mort est proche, overdose d’une fille, agression nocturne d’un prostitué, envie de vivre réduite à presque rien. Alors quel rôle peut avoir Tomás dans la vie de Luisa ?

Il n’y a rien de mieux qu’un séjour à deux pour découvrir l’autre, surtout si c’est un presque inconnu, mais aussi, peut-être pour se découvrir soi-même. La découverte, des êtres humains, des lieux, des atmosphères, est par essence double, les hésitations de Luisa en sont le reflet, et Chloe Aridjis le montre puissamment en mêlant poésie, étrange, naïveté, celle de l’adolescente, et éventuelle rouerie, celle de Tomás, dont le côté fuyant ne reflète que le ressenti de Luisa.

Le ressenti de Luisa, c’est justement ce que nous avons sous les yeux, elle est troublante, cette fille paumée et volontaire, attirante et décourageante, qui expose avec pas mal de candeur ses hésitations. Pourquoi cette fugue ? Trouvera-t-elle la réponse ? La découvrirons-nous à son insu ?

« Au maximum c’était la moitié d’une histoire », conclut Luisa vers la fin du roman. Mais pour le lecteur, l’histoire est bien complète, riche, subtile. Chloe Aridjis, la fille d’Homero Aridjis, grand écrivain mexicain et d’une mère nord-américaine, qui écrit pour le moment en anglais, est en train de se faire un solide nom dans les Lettres, américaines ou mexicaines puisqu’elle domine les deux langues et les deux civilisations.

                                                                                                       Christian ROINAT

Fugue mexicaine de Chloe Aridjis, traduit de l’anglais par Antoine Bargel, éd. Mercure de France, 175 p., 21 €.