« Sur la route des extrêmes – Une traversée de l’Amérique du Sud » par Alfred de Montesquiou, présenté par Arte éditions et Gallimard Voyages

L’auteur est journaliste. Correspondant pour Associated Press puis Paris-Match, il a couvert la plupart des grands conflits du Moyen-Orient. Il a obtenu le prix Albert Londres 2012 pour son travail sur la chute du colonel Kadhafi en Libye. Une traversée de l’Amérique du Sud – De l’Argentine à l’Équateur en passant par la Bolivie ou le Brésil, une aventure humaine et écologique est son dernier ouvrage. Nous vous présentons ici l’introduction de l’auteur à son dernier ouvrage et nous remercions Arte Magazine et les éditions Gallimard de leur autorisation. 

LUCHANDO E LA VICTORIA

Photo : Gallimard et

Ce livre est une enquête écologique. C’est une traversée de l’Amérique du Sud qui vise à explorer l’avenir. L’eau, la montagne, le désert… chaque voyage vers un biotope singulier y est pris comme la variante d’un scénario d’évolution possible de notre planète. Car les extrêmes de la Terre ne racontent pas seulement les marges du monde habité. Bombardements d’UV, tempêtes inhumaines, air raréfié, inondations massives : c’est aussi l’avenir d’une planète en crise qu’ils peuvent nous aider à comprendre.

Ces défis ne sont pas des fables alarmistes de futurologues ou d’experts climatiques. Ce sont des phénomènes actuels, courants, que je suis allé observer de mes yeux. L’Amérique du Sud est en effet le continent des extrêmes et celui des plus radicales variations de biotopes. Il abrite la plus vaste forêt au monde, le plus grand fleuve, la chaîne de montagnes la plus longue, mais aussi le désert le plus sec et la terre la plus australe… Avec mes camarades de voyage, j’ai parcouru ce continent de l’équateur au cap Horn, en passant par l’Amazonie, le désert d’Atacama et une bonne partie des Andes afin de réaliser une série documentaire pour Arte.

À chaque étape, nous avons pris comme fil rouge un écosystème, en cherchant à l’explorer dans sa logique la plus extrême. Ces territoires sont toujours les plus fragiles, donc les plus vulnérables aux aléas du changement climatique. Les parcourir aujourd’hui est une manière de sonder ce à quoi pourra ressembler notre avenir si nous laissons l’environnement s’effondrer. À chaque étape de notre voyage, la problématique était locale mais les enjeux mondiaux, illustrant l’interconnexion du climat terrestre et l’urgence des signaux qu’il émet.

Le récit de ce voyage vise à décrypter comment l’homme s’adapte aux défis du milieu et comment en retour il façonne les écosystèmes. Pour le pire, mais aussi parfois pour le meilleur. C’est d’ailleurs la grande leçon de cette exploration : non pas seulement un reportage à travers la misère d’un continent pour en constater les dégâts mais aussi, à sa manière, un voyage initiatique.

L’écologie n’est pas qu’une science abstraite, un débat de chiffres et d’experts qui se répètent de sommets internationaux en promesses creuses. C’est aussi une aventure humaine, au contact quotidien de la nature, empreinte de modestie. Ils sont nombreux, à travers l’Amérique du Sud, à se souvenir encore que l’homme demeure un animal comme les autres, incapable de vivre s’il détruit l’univers qui l’a vu naître.

Nous façonnons le monde par la force de notre intelligence. Nous avons pensé le progrès, l’avons mis en œuvre. Ce progrès matériel a permis aux hommes de prospérer jusqu’à compter plus de 7 milliards de membres. Mais il montre à présent ses limites : l’extinction massive des autres espèces du règne animal ou végétal, le bouleversement des écosystèmes et la menace de notre propre autodestruction. Or les mesures internationales énoncées pour prévenir un tel effondrement paraissent jusqu’à présent dérisoires ou largement insuffisantes.

Ce long chemin à travers l’Amérique du Sud m’a personnellement convaincu qu’une adaptation à la hauteur des défis ne sera possible qu’en changeant radicalement de paradigme. Opérer une révolution verte : renouveler la manière dont nous nous racontons nos vies et notre rapport au monde, non pas pour mépriser les agréments du progrès, mais pour reconnaître combien les richesses naturelles participent à notre bien-être global. Percevoir la vraie valeur de la nature – sanitaire, économique, sociale, voire spirituelle –, cesser d’y puiser à sa guise, ne pas la souiller des rebuts de notre activité, lui reconnaître des droits égaux aux nôtres, rétablir avec elle la notion d’échange.

Malgré les contrastes violents du continent, ils sont nombreux en Amérique du Sud à répondre à cet appel de la nature. Ils sont surtout nombreux à décider d’agir. Dans la « jungle des nuages » du nord Pérou, j’ai ainsi rencontré un fermier, Ricardo Gueiler, qui depuis trente ans replante pied à pied les arbres sur son flanc de montagne. On l’a d’abord pris pour un fou. À présent, ses voisins admirent et envient le petit éden qu’il a su recréer. Don Ricardo ne pense pas sauver la planète à lui tout seul, mais il est animé par la certitude que chacun peut y contribuer, et qu’il faut agir d’urgence. C’est un nouveau combat qui s’ouvre. Il risque d’être âpre et complexe. Mais comme le professe Ricardo : « Luchando e la victoria »« lutter, c’est déjà une victoire ».

Une nouvelle génération se lève aujourd’hui pour dénoncer la manière dont ses aînés dilapident le monde. Elle sèche les cours pour manifester, pétitionne les politiques et boycotte les pollueurs. Elle veut croire possible d’écrire une nouvelle histoire pour notre planète, et donc pour l’espèce qui en a la charge. Ce livre lui est dédié.

Alfred DE MONTESQUIOU
1er mai 2019

Alfred de Montesquiou 

Il fait ses premiers pas de journaliste en 2004 à l’agence Associated Press comme correspondant en Haïti et au Moyen-Orient, où il couvre la plupart des grands conflits de la région, notamment le génocide du Dar­four, puis comme correspondant de guerre, notamment en Afghanistan et en Irak. En 2010, il rejoint le magazine Paris Match, pour lequel il couvre la plupart des révolutions du Printemps Arabe. En 2012, il obtient le prix Albert Londres pour sa couverture de la chute du colonel Kadhafi en Libye et, en 2013, le prix Nouveau-Cercle Interallié pour son livre Oumma, récit de voyage et de reportage sur le Moyen-Orient. En 2017, il part pour ARTE sur les routes de la soie, de Venise à Xian, ancienne capitale de Chine, traversant six pays et d’innombrables étapes sur 12 000 kilomètres (la série documentaire La route de la soie et autres merveilles).te Terre. 

Sur la route des extrêmes. Une traversée de l’Amérique du Sud de Alfred de Montesquiou, coédition Gallimard Loisirs / ARTE Éditions, 256 p., 29,90€.