Élections uruguayennes : deuxième tour entre continuité et changement

Passés inaperçus entre les grandes mobilisations populaires au Chili et les élections en Argentine, les habitants de la République Orientale de l’Uruguay votaient le 28 octobre dernier afin d’élire les membres de leur Parlement ainsi qu’un nouveau président.  

Photo : Periodico Centenario

C’est l’histoire d’un pays pas comme les autres : l’Uruguay. Ce petit pays, coincé entre les géants argentin et brésilien, est souvent cité comme exemple en Amérique Latine, un havre de paix qui intrigue. Pays le plus pacifique du continent, depuis quelques années, il brille pour ses avancées sociales, le convertissant en premier de classe dans de nombreux classements : l’Uruguay est le pays d’Amérique latine avec le salaire minimum le plus élevé, le pays où les revenus par habitant sont les plus hauts du continent et où le taux d’inégalité sociale est le plus bas. 50 % de ses étudiants universitaires sont les premiers de leurs familles à y être entré. Peuplé d’un peu plus de trois millions d’âmes, le pays est également pionnier dans de nombreux domaines : la consommation du cannabis y est légale et il est leader continental dans les domaines technologiques et des énergies renouvelables.  

L’Uruguay est gouverné depuis quinze ans par le Frente Amplio, un parti de centre-gauche, rendu populaire par la figure emblématique de Pepe Mujica, dont la conception de la politique brillera bien au-delà des frontières, le transformant en icône pop pour une génération de militants de gauche. Il y a pourtant péril en la demeure : arrivé premier du premier tour des élections, Daniel Martinez, candidat pour le Frente Amplio, réunit péniblement 39% des voix. Un second tour est prévu le 24 novembre.  

Ce second tour opposera Martinez à Luis Lavaell Pou, candidat du Partido Nacional, connu comme Partido blanco. Fils d’un ancien Président de la République, Lavalle Pou obtint 28% des suffrages. Malgré cet écart, il peut compter sur le soutien d’autres partis en lice le 28 octobre. Quelques jours après le scrutin, il présenta cette option pour une nouvelle majorité, la « coalition multicolore », composée du PN, du Partido Colorado et de Cabildo Abierto. Réunissant 58% des votes, cette proposition pose un choix très clair aux électeurs : un quatrième gouvernement du FA ou l’alternative, la continuité ou le changement de politique. 

Que propose la coalition multicolore ? Les trois partis ont réussi à se mettre d’accord sur plusieurs points : diminuer le déficit fiscal, coupes dans la dépense publique, une réforme de l’État visant à plus de transparence, d’efficacité et de décentralisation. Face à ce programme faiblard, le Frente Amplio se retrouve pourtant isolé, sans possibilité d’alliance. Pour beaucoup, le parti ne reflète plus la réalité politique et idéologique du pays, avec la nette prédominance des secteurs de gauche dans ses sphères dirigeantes. Le gouvernement de Vásquez a été critiqué notamment sur les questions sécuritaires et internationales (il refusa de dénoncer la situation au Venezuela par exemple). Les questions relatives à la sécurité ont en effet monopolisé le débat politique et le Frente Amplio n’a pas su y donner des réponses convaincantes pour une majorité d’électeurs. Ce n’est pas un hasard si le jour du scrutin coïncidait également avec un referendum pour ou contre un plan de sécurité national « Vivir sin miedo », qui obtint 47% d’opinions favorables.   

Le solide système de partis uruguayens fut par ailleurs chamboulé par l’irruption d’une force politique nouvelle, Cabildo abierto, qui réunit 11% des voix. Ce nouveau parti est mené par Guido Manini Ríos, Commandant en chef de l’Armée uruguayenne, une figure charismatique et puissante qui réussit à convaincre en dénonçant la corruption et l’insécurité. Surnommé parfois le « Bolsonaro d’Uruguay », le Général devient un élément incontournable dans la formation d’une possible coalition multicolore.   

Sur le papier, une défaite du Frente Amplio le 24 novembre est fortement probable. Les commentateurs et enquêteurs s’interrogent néanmoins : les électeurs suivront-ils les indications de leurs partis politiques ? La victoire de la gauche en Argentine aura-t-elle un quelconque effet sur les résultats du deuxième tour en Uruguay ? La proposition de coalition multicolore convaincra-t-elle une majorité de votants ? Beaucoup d’interrogations restent en suspens dans ce pays d’Amérique latine qui n’a pas fini de nous étonner.  

Romain DROOG