Un premier roman mexicain  : « Parmi d’étranges victimes » de Daniel Saldaña París

Un premier roman est le plus souvent regardé avec curiosité par le public et les critiques  : comment évoluera le jeune auteur  ? Corrigera-t-il ce qui est apparu comme défauts de jeunesse, confirmera-t-il l’originalité de ses phrases et de ses idées  ? Parmi d’étranges victimes est un peu hors du temps. Il est moderne (si ce mot veut dire quelque chose  !) et fait penser aux romans nord-américains de la grande époque hippie tout en se situant dans un Mexique plus vrai que le vrai.  

Photo : Editions Métailié

Un homme dont le principal souci est de décider qui l’emportera, de la poule qui erre sur le terrain vague voisin de chez lui ou de la secrétaire un peu rébarbative par son physique et son caractère, mais disposée à un rapprochement sentimental, cet homme ne peut être fondamentalement mauvais. Un peu bizarre peut-être. 

Rodrigo Saldívar, qui aurait pu briguer des postes prestigieux, est resté modeste « administrateur de connaissances » (c’est lui qui a créé le terme) dans un musée de Mexico, sans chercher à s’élever, cela ne l’intéresse pas du tout. D’ailleurs, que veut dire « s’élever »  ? Tout est tellement relatif. Sa petite vie lui convient, il collectionne les sachets de thé usagés et pratique au quotidien l’observation affectueuse de la poule d’à côté. 

Rodrigo est le rejeton de parents séparés qui vécurent, après le drame d’octobre 1968, le massacre des étudiants de la Place des Trois Cultures, la grande libération post-soixante-huitarde. Il en est l’exact opposé, et père et mère, mère surtout, ne comprennent pas ce « retour en arrière ». 

Assez vite, une longue parenthèse nous éloigne de cette atmosphère étouffante, une bouffée d’air frais et international qui présente des personnages jusque là inconnus qu’on retrouvera bientôt dans le contexte d’origine, le Mexique de ce pauvre Rodrigo. 

La province mexicaine vue par Daniel Saldaña París n’est pas plus enthousiasmante que la capitale. Le séjour du malheureux Rodrigo (mais est-il vraiment malheureux, au fond  ?) s’éternise dans une vague université perdue au milieu du désert, ce qui lui permet de nouer des liens, un peu lâches c’est vrai, avec des personnages sortant de son ordinaire et de découvrir une hypnose pas du tout catholique. 

Roberto Bolaño a laissé des traces au Mexique  : sa généreuse influence semble se manifester chez Daniel Saldaña París, par exemple l’apparente banalité de la surface qui recouvre une profondeur certaine de ce qui est évoqué (vie quotidienne et psychologie qui ne sont jamais décrites ou commentées mais seulement énoncées parmi des actes ou des pensées), ou cette façon de faire vivre sous nos yeux des personnages secondaires, comme ces universitaires dont on a du mal à séparer la vacuité et la richesse ou encore les longues parenthèses dans le récit qui sont de véritables petits romans à l’intérieur du roman. 

Les contradictions qui caractérisent tous les personnages du roman, rendues très visibles par l’auteur mais dont ils sont inconscients, ne sont-elles pas une définition possible de tout humain  ? Chacun de nous est-il capable de découvrir la « trame de [son] existence », comme se demande Rodrigo  ? 

Parmi d’étranges victimes est un de ces premier romans qui, parce qu’il est tellement prometteur et original, oblige à attendre la suite  : El nervio principal, publié l’an dernier, a été chaleureusement accueilli par la critique mexicaine. 

Christian ROINAT 

Parmi d’étranges victimes de Daniel Saldaña París, traduit de l’espagnol (Mexique) par Anne Proenza, 288 p., ed. Métailié, 20 €. 

Daniel Saldaña París en espagnol  : En medio de extrañas víctimas / El nervio principal, ed. Sexto Piso, Madrid.