«Captifs au paradis» de Carlos Marcelo, un voyage risqué au paradis

Le paradis existe-t-il sur terre ? Les agences de voyages nous le promettent, photos à l’appui : plages de sable fin, décor d’arbres et de rochers et une ou deux jolies filles sur les affiches. À environ cinq cents kilomètres au large de Recife, l’île brésilienne de Fernando de Noronha fait maintenant partie des itinéraires à la mode. Les images correspondent aux attentes des futurs voyageurs, même si le passé du territoire est un peu glauque : il a servi de bagne dans un passé pas très éloigné…

Photo : opoderosoresumao

Tobias, ex-étudiant en histoire, désormais un peu à la dérive, continuant à se chercher et à chercher sa voie aux côtés de sa sœur Lena qui l’aide à élever sa fille Dora, pré-adolescente dans toute la vitalité de son âge, se retrouve piégé sur Fernando de Noronha. Lena lui avait déniché une mission : prospecter de nouvelles possibilités touristiques sur l’île, mais une avarie de l’avion qui devait le ramener sur le continent et un train d’atterrissage hors d’usage l’obligent à rester bien plus de temps que prévu. Un double crime qui concerne deux hommes qu’il a croisés est découvert. Plusieurs jours d’attente lui font découvrir ce qui était caché aux visiteurs de passage.

On croise des personnages typés: un militaire qui se met en fureur pour un rien, un philosophe esseulé porté sur la cachaça, un policier en surpoids qui retire soigneusement la crème vanille des multiples gâteaux fourrés qu’il grignote, un acteur de séries télévisées dont l’agent régit le moindre temps mort. L’ambiance un peu étrange qui règne sur l’île, pacifique mais soudainement secouée par le double meurtre, désolée dans son quotidien mais visitée par des touristes en quête d’exotisme, évoque indirectement toute l’histoire du Brésil, malgré les kilomètres qui l’éloignent du continent, ou peut-être à cause d’eux : le délabrement qui côtoie le pseudo luxe touristique, les fantômes d’un bagne dont il ne reste que des ruines, mais encore présent dans les mémoires, cela renvoie forcément au destin de tout le pays, comme les expériences éducatives qui ont eu un certain succès avant de tomber dans l’oubli.

Hors du monde est le titre d’un ouvrage paru vers 1920 sur Fernando de Noronha que se procure Tobias. Oui, l’île est bien hors du monde, et elle en fait partie ; oui, ceux qui y séjournent connaissent la même schizophrénie et Tobias, très vite, ressent cette même opposition inconciliable. Les quelques jours qu’il passe là lui semblent bien longs…

La richesse de Captifs au paradis vient des divers niveaux de lecture : on peut observer la vie de tous les jours des habitants, sur ce territoire à part, on peut être pris par l’enquête menée par le policier local, on peut chercher les symboles qui parlent du plus grand pays d’Amérique latine à travers cette petite île de quelques kilomètres carrés, le plus savoureux, c’est l’atmosphère contradictoire, ce territoire est savoureux par ses contradictions, douceur et amertume, abandon et activités, paradis et… quoi au juste ? Ce n’est pas l’enfer, loin de là, c’est Fernando de Noronha et c’est chez nous, un dépaysement sans bouger. C’est aussi un paradis qui risque d’être submergé par une immense vague annoncée par la météo, une vague qui remplit d’espoir des surfeurs venus spécialement pour vivre une intense émotion et qui peut causer la destruction, la mort.

Les effluves roses, rouges, et noirs, un peu pervers qui naissent de ce Captifs du paradis restent dans la mémoire, une fois le livre refermé. C’est la preuve qu’on a fait un voyage des plus prenants.

Christian ROINAT

Captifs au paradis de Carlos Marcelo, traduit du brésilien par Myriam Benarroch, éd. Gallimard, 343 p., 22 €.

Carlos Marcelo (né Carlos Marcelo Carvalho, João Pessoa, le 2 septembre 1970) est à la fois journaliste, écrivain et biographe brésilien, rédacteur en chef de l’Estado de Minas