La «nouvelle frontière» de Donald Trump pour dissuader les migrants admis au Mexique

«Nous sommes devant une nouvelle frontière, avait déclaré le 15 juillet 1960 le président John Fitzgerald Kennedy, celle de la science, de l’espace, et de la paix.» Les 29 mars et 5 avril 2019, son lointain successeur Donald Trump a évoqué un horizon frontalier plus terre à terre : «Le Mexique doit arrêter les illégaux (les migrants centraméricains), sinon on fermera la frontière. Notre pays a fait le PLEIN !» «Sinon» a-t-il encore ajouté, «j’appliquerai des sanctions financières et les voitures importées seront taxées à hauteur de 25%

Photo : Reuters – Kevin Lamarque

Le creuset américain serait-il débordé ? Un flux continu et croissant de Guatémaltèques, Honduriens et Salvadoriens, au nombre de 300 000, aurait traversé le Mexique de part en part entre janvier et mars 2019, selon le ministère de l’Intérieur (Secretaria de Gobernación) du pays aztèque. De la frontière sud, celle du Chiapas, aux limes du nord, avec les États-Unis. Sous pression, la police des frontières mexicaines a, le 22 avril 2019, détenu sans ménagement, au lieu-dit Echegaray, commune de Pijijapan, 371 migrants. Tandis qu’au nord, à Tijuana, l’accumulation de déplacés économiques le long d’un mur militarisé génère des tensions avec les populations locales. Le tout sous fond de diatribes anti-mexicaines et centraméricaines du Président des États-Unis. Plus que par l’immigration spontanée, qui n’a rien de nouveau, Donald Trump, en campagne présidentielle 2020, paraît bien davantage dépassé par ses promesses de la campagne antérieure de 2016 (396 579 interpellations en 2018 par la police nord-américaine ; 1 692 544 en 2000).

La frontière fait 3100 kilomètres. Dont seul un tiers est «muré». Un mur qui n’a jamais empêché personne de passer. Par-dessus, par-dessous, ou en le contournant paradoxalement de façon légale, comme le signale la statistique officielle. Ou même parfois en le perforant en plein jour, comme l’a constaté un journaliste de Mexicali. Restent les coups de menton, à usage électoral. De nature à conforter les convictions des convertis. Qui applaudit drapeaux «trumpiste» aux vents ou passe aux travaux pratiques, en traquant les migrants en panoplies paramilitaires. Comme le groupe «United Constitutional Patriot» qui sévit du côté d’El Paso, au Nouveau-Mexique.

Donald Trump, «Uranus» (Uranus, nom du cafetier Léopold Lajeunesse, et titre d’un roman de Marcel Aymé (1948) et d’un film de Claude Berri (1990) limonadier), irascible et fort en gueule, pressé par les échéances électorales, se fait de plus en plus insistant : «Retournez chez vous», a-t-il dit aux migrants. Accompagnant ces propos de menaces à l’attention des gouvernements mexicains, et centraméricains. Pour bien faire comprendre son message, le chef d’État nord-américain a fait appel à l’armée. Plusieurs milliers d’hommes avaient été déployés en 2018 pour imperméabiliser la frontière.

Le 24 avril 2019, Donald Trump annonçait que «des soldats armés» allaient de nouveau être envoyés sur la frontière. Le 29 avril 2019, le Département de la défense des États-Unis a signalé que 320 hommes allaient renforcer les 2900 militaires et 2000 gardes nationaux déjà sur place. S’adressant au Mexique, le Président Trump a par ailleurs renouvelé la forte éventualité de sanctions commerciales. Tandis qu’en 2017 et 2018, les permis de séjour temporaire aux États-Unis des Honduriens, Nicaraguayens et Salvadoriens n’ont pas été renouvelés. Le 16 octobre 2018, Donald Trump a fait savoir à son homologue hondurien, Juan Orlando Hernández, la probable suspension des aides au développement accordées. Le 29 mars 2019, le Département d’État a enclenché le processus visant à suspendre les subventions affectées aux États du Triangle du Nord. Gros yeux et gros bâton donc, pour défendre l’intérêt national des États-Unis tel qu’il est entendu par le locataire actuel de la Maison-Blanche.

Le gouvernement mexicain d’Andrés Manuel López Obrador, aux commandes depuis le 1er décembre 2018, a une autre approche. Celle de s’attaquer aux causes de ces migrations. 49% à 82% des populations rurales centraméricaines vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Sans pour autant négliger les nécessités humanitaires et sécuritaires du moment. Les deux plaques, l’humanitaire et la sécuritaire, peinent à coïncider. Les visas humanitaires accordés depuis décembre 2018 aux migrants centraméricains ont été suspendus le 28 janvier 2019. La police des frontières mexicaine agit de façon moins amène, comme on l’a constaté à Echegaray-Pijijapan le 22 avril 2019. D’ajustement en ajustement, les migrants «frontaliers» vont finalement être dotés d’une carte de séjour et de circulation à validité locale. Afin de gérer au plus près le présent et ses urgences, un mécanisme de coordination a été mis en place par le Mexique et le Triangle du Nord le 30 avril 2019.

Côté réduction des causes poussant à émigrer, un accord a été signé dès la prise de fonction d’AMLO, le 1er décembre 2018, entre le Mexique, le Triangle du Nord et la Commission des Nations unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes (ou CEPAL). Cet accord affiche la couleur. Il s’agit d’un Plan pour le développement intégral (PDI) destiné à stimuler la création d’emplois en Amérique centrale. Il est doublé d’un second projet d’investissements centré celui-là sur le sud du Mexique. Marcelo Ebrard, Secrétaire aux relations extérieures, considère «que les flux migratoires dérivent de la pauvreté, et parfois des violences […] Ce qui rend nécessaire des stratégies de développement». Plusieurs programmes ont été validés le 5 avril 2019 par le Mexique et le Triangle du Nord.

Comprenne qui pourra, les États-Unis ont le 18 décembre 2018 fait un chèque sur le compte du PDI. Ils considèrent, en dépit des propos présidentiels, le Mexique comme un pays tiers, démocratique et donc apte à recevoir et intégrer les migrants centraméricains. États-Unis et Mexique ont réuni à Mérida (Yucatán) le 10 avril 2019 un Forum d’investisseurs potentiels. Susceptibles de participer financièrement et matériellement à la mise en chantier d’un train rapide, dit «train Maya», au sud du Mexique, et d’une raffinerie dans l’État de Tabasco. Les sauts d’humeur d’un Donald Trump embourbé dans ses promesses électorales de 2016 se font de plus en plus fréquentes et pressantes, malgré sa précampagne des prochaines présidentielles.

La police des frontières fait du zèle, provoquant des bouchons de plusieurs heures. AMLO a beau faire le dos rond, inviter au silence radio à l’égard de Donald Trump, bénéficier du soutien des entreprises nord-américaines présentes au Mexique, il est contraint de prendre des mesures d’urgence, policières. 15 000 migrants ont été expulsés en mars 2019. Le Mexique a accepté que l’examen des dossiers d’asile aux États-Unis soit externalisé sur son sol. La carte de séjour (tarjeta de visitante regional), accordée aux Centraméricains, a une validité limitée au sud mexicain, riche pour l’instant de lignes budgétaires. Mais qui permet au Mexique de considérer qu’il n’y a aucune raison de lier dossiers migratoires et commerciaux, comme le fait Donald Trump.

Fermer, ou paralyser, la frontière provoquerait de graves désordres économiques au Mexique. 80% du commerce extérieur mexicain est dirigé vers le Nord, les États-Unis. Mais l’argument est réversible. Le Mexique est le troisième partenaire économique des États-Unis. Reste à savoir quelle est la «Nouvelle frontière» de Donald Trump, un président qui, pour gagner la consultation de 2020, semble prêt à tout. «La sécurité, a-t-il déclaré, début avril, est plus importante pour moi que le commerce.»

Jean-Jacques KOURLIANDSKY