Filmer le drame vénézuélien à hauteur d’hommes dans La Familia

Avec son premier long métrage qui sort en salle le 10 avril, Gustavo Rondón Córdova nous livre le portrait d’un pays meurtri. Alors qu’une partie du monde a les yeux rivés sur la crise économique et politique qui secoue le Venezuela depuis plusieurs années, le réalisateur choisit de traiter ce drame en filmant ses conséquences directes, à travers le récit d’un jeune garçon et son père.

Photo : Tamasa distribution

Pedro, 12 ans, erre avec ses amis dans les rues violentes d’une banlieue ouvrière de Caracas. Quand il blesse gravement un garçon du quartier lors d’un jeu de confrontation, son père, Andrés, le force à prendre la fuite avec lui. Andrés découvre son incapacité à le contrôler mais cette nouvelle situation rapprochera père et fils…

Dans le cadre, les corps sont transpirants, les habitations délabrées. La caméra à l’épaule et l’absence de musique appuient un traitement réaliste à la limite du documentaire au cœur des barres d’HLM dans la périphérie de Caracas. Pour le spectateur, le décor est fixé en quelques minutes : la Crise apparaît dans chaque coin d’immeubles à travers les pénuries de biens alimentaires et la violence.

Dans ce quartier vivent des êtres désenchantés, brutaux et vulgaires, à l’image de cette bande de gamins dans laquelle Pedro tue le temps. Le réalisateur a confié à Reggie Reyes le soin d’incarner à l’écran ce gosse au regard fiévreux et toujours défiant. Une attitude à la trop grande assurance qui rend difficile l’estimation de son âge, que seul son corps frêle trahit.

Fuir pour survivre

Pour son premier rôle à l’écran, l’acteur non professionnel envoûte par sa facilité à incarner la froideur et la lassitude d’un enfant devenu adulte trop vite. À ses côtés, on retrouve Giovanny García (El Amparo), père absent, perpétuellement inquiet, qui décide d’entraîner son fils en dehors des quartiers pour se protéger. Entre les deux hommes, autour desquels va se construire l’intrigue, jamais d’effusion de sentiments. Les rapports se font dans la force ou dans les silences d’une communication tronquée, les inquiétudes du fils trouvant pour seule réponse la lassitude d’un adulte autant dépassé que lui par un contexte dangereux.

Pour se protéger, la fuite est constante pour ces deux hommes. Fuir le danger du quartier d’abord, la pauvreté qui les rattrape ensuite. Et en quittant «el bloc», la périphérie, ils plongent ainsi dans une vie d’incertitude nomade. L’arrivée de Pedro en ville forme en ce sens une étape presque initiatique : il y découvre des quartiers différents du sien, où les Vénézuéliens qui luttent pour survivre servent littéralement les familles aisées. Il importe ainsi au réalisateur de nous rappeler qu’il existe encore des havres de paix et d’opulence à Caracas, comme autant d’îlots isolés dans une mer houleuse de destins fatigués.

Reconstruire une famille, reconstruire un pays

Mais c’est une parenthèse acide qui choque et accentue la réalité plus pressante : au Venezuela, tout est à reconstruire. La ville, comme en témoignent toutes ces habitations en travaux, mais aussi et surtout les familles, à la manière de celle formée par Pedro et Andrés. Pour Gustavo Rondón Córdova, la reconstruction du pays passe inévitablement par la recomposition d’un tissu familial : «La violence sociale, morale et économique est une conséquence politique. Si nous réussissons à ce que ce cercle de relations saines s’étende, c’est utopique mais on peut espérer que cela atteigne les politiques et qu’ensemble les individus créent une société moins hostile.» Si les problèmes de crise et de violence sont politiques, la volonté des hommes est pourtant la seule à pouvoir changer la situation.

Avec justesse, La Familia suit la construction d’une famille privée de figure féminine et maternelle. Dans leur tentative de fuite, le père et le fils comprennent le rôle essentiel que forme leur union même si elle conduit à un exil qui semble rester une fatalité indépassable. La performance des deux protagonistes est au rendez-vous et il la fallait juste pour rappeler au spectateur la puissance que jouent les destins individuels dans un pays depuis trop longtemps pris en otage par son actualité géopolitique.

Kévin SAINT-JEAN

La Familia de Gustavo Rondón Córdova, Drame, Venezuela-Chili-Norvège, 1 h 22 – Voir la bande annonce