Le Chili donne le coup d’envoi au Prosur sur la dépouille de l’Unasur pour l’avenir de la région

Le vendredi 22 mars 2019, sept chefs d’État réunis à Santiago du Chili ont ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire de la construction de l’Amérique latine. Le PROSUR, le «Progrès de l’Amérique du Sud», parviendra-t-il à renforcer l’ensemble des moyens qui soutiennent ces sociétés en matière d’énergie, de santé, de sécurité et de lutte contre le crime ?

Photo : DW

En présence du président chilien Sebastián Piñera et d’Iván Duque, président de la Colombie, –initiateurs du projet– les présidents du Brésil, Jair Bolsonaro, de l’Argentine, Mauricio Macri, de l’Équateur, Lenín Moreno, du Paraguay, Mario Abdo, du Pérou, Martín Vizcarra, ainsi que l’ambassadeur du Guyana au Chili, George Talbot, ont présenté les grandes lignes de ce que pourrait être le XXIe siècle pour la région.  «Le Prosur sera un forum ouvert à tous les pays d’Amérique du Sud, un forum sans idéologie qui respectera la diversité et les différences que chaque peuple décidera lors du choix de son gouvernement, un forum sans bureaucratie excessive et un forum pragmatique qui réalise des résultats.» Tels sont les termes dans lesquels s’est exprimé le président du Chili, Sebastián Piñera, après la signature de la Déclaration de Santiago.

C’est au moins l’objectif que les dignitaires se sont fixé avec la signature de cet accord, qui ouvre une perspective plus large pour les rapports bilatéraux, avec l’intégration d’autres pays qui ne font pas partie du Mercosur, le marché commun entre le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay. Le Prosur est en quelque sorte une évolution de l’Alliance du Pacifique, le bloc économique qui unit le Chili, la Colombie, le Pérou et le Mexique. En même temps, cet accord met fin à son prédécesseur, l’Unasur.

En réalité, la naissance du Prosur résulte d’une transformation progressive du panorama politique latino-américain depuis ces dernières années. En effet, les pays où la gauche a régné durant les années 2000, c’est-à-dire pratiquement sur tout le sous-continent, ont amorcé depuis 2015 un net virage à droite comme conséquence de l’échec fracassant du populisme démagogique, dont l’exemple le plus spectaculaire a été la récente élection de M. Bolsonaro à la tête du Brésil.

Rappelons que, à l’époque où les gouvernements de gauche avaient le vent en poupe, grâce notamment à un contexte commercial mondial très favorable, Hugo Chávez, Néstor Kirchner et Lula da Silva, portés par leur enthousiasme, annoncèrent en 2004 un tournant radical dans la région : la création de l’Unasur. L’Union des nations sud-américaines, mise en place en 2008, comptait également avec l’adhésion du président bolivien Evo Morales et de Rafael Correa, l’ancien président de l’Équateur.

Cette entité politique militait pour le renforcement des coopérations régionales, bien sûr, mais avait aussi comme objectif essentiel l’émancipation de l’Amérique latine face aux États-Unis. Or d’emblée, l’erreur a été de vouloir opposer le vieux et illusoire rêve guévariste à ce que beaucoup considèrent comme un mal endémique et inéluctable, ancré profondément dans la vie sociale et politique de l’Amérique latine. C’est la raison pour laquelle Sebastián Piñera, réaliste, a déclaré que l’Unasur avait échoué en raison de son «excès d’idéologie».

Pour le président chilien, le Prosur «devrait être progressivement mis en œuvre […] avec un mécanisme décisionnel agile qui permettra à l’Amérique du Sud de progresser dans la compréhension et les programmes d’intégration concrets». Selon la déclaration signée à Santiago, les priorités de ce nouveau bloc régional seront «l’intégration en matière d’infrastructures, d’énergie, de santé, de défense, de sécurité et lutte contre le crime, de prévention et gestion des catastrophes naturelles».

Ce sont de bonnes intentions, certes, mais le plus dur reste à faire. Dans les pays déstabilisés par les intérêts économiques personnels, les luttes intestines pour le pouvoir obligent le Prosur à plus de moyens de décision et de contrôle démocratique. C’est pourquoi le Venezuela n’a pas été invité ; sur ce point, voici les conditions énumérées dans la déclaration d’adhésion au Prosur : «la pleine validité du processus démocratique et des ordres constitutionnels respectifs, le respect du principe de la séparation des pouvoirs de l’État et la promotion, la protection le respect et la garantie des droits de l’homme et des libertés fondamentales».

Par ailleurs, la Bolivie d’Evo Morales et l’Uruguay de Tabaré Vázquez n’ont pas envoyé leurs représentants à Santiago. La non-adhésion de certains pays pourrait s’expliquer par le fait qu’ils voient le Prosur comme un arrangement entre gouvernements de droite afin de trouver des positions consensuelles qui facilitent les relations avec les États-Unis. En bref, ils considèrent que les pays signataires sont unis par une commune allégeance à Washington. Or, pour ne pas commettre le même vice rédhibitoire du passé, il faudrait rappeler les termes de la doctrine de James Monroe (1758–1831) à ceux qui naïvement pensent encore tenir tête au grand gendarme nord-américain.

Eduardo UGOLINI