Il fait Partiellement nuageux sur le territoire chilien dans le nouveau roman d’Antoine Choplin

Après Radeau, Héron de Guernica, Quelques jours dans la vie de Tomas Kusar ou La Nuit tombée, pour lequel il a reçu le prix France Télévisions en 2012, Antoine Choplin revient avec Partiellement nuageux, un court roman plein de poésie qui pose la question de la mémoire et de la reconstruction face à l’orage de la dictature chilienne –l’un de ces passés «qui ne passe pas»– à laquelle les non-dits d’une écriture intime n’apportent pas de réponse, seulement des accalmies entre deux tempêtes pour essayer d’avancer.

Photo : La fosse aux ours/Antoine Choplin

Chili. Santiago. Musée de la mémoire. Salle du 11 septembre 1973. Murmures de chars et bruits d’avions. Le palais de la Moneda est en flammes. Les bougies s’agitent devant le Mur des disparus. Salle de la documentation, Ernesto Guttierez rencontre Ema. Une femme aux longs cils noirs, une fossette en haut de la joue.Ernesto est astronome en territoire mapuche. Il est à Santiago pour une demande de subvention afin d’obtenir une lame de Schmidt et ainsi redonner vie à Walter, son télescope. Le portrait de Pauline le fixe des yeux. Mais Ema, que fait-elle ici, un gros classeur d’archives dans les bras ? Rencontre de deux âmes solitaires fragilisées par la dictature. Mais chacun a ses blessures et ses fantômes. De retour à Quidico, le visage d’Ema face à l’océan, Ernesto se remet à écrire des poèmes et à griffonner sur son cahier d’oiseaux.

À l’image des interactions entre les deux personnages, des regards échangés sans trop parler, «quelques mots sans suite le plus souvent bredouillés avec l’élan d’un élément de paysage», l’écriture de Partiellement nuageux est comme ces nuages épars qui se dessinent dans un ciel plus ou moins bleu. Des petites touches de poésie, des renseignements qui apparaissent en transparence entre deux averses, et un ciel encore lourd qui laisse ainsi planer le mystère sur le passé de chacun, mais sur l’avenir aussi. Des non-dits dangereux pour les personnages, pleins de saveur pour le lecteur.

Dans ce roman, tantôt les nuages sont cette masse qui assombrit pour signaler une menace, des soucis venant troubler le bonheur ou du moins esquisser une légère inquiétude ; tantôt ce sont ces étoffes couleur gris clair dont la transparence est seulement obscurcie par quelques impuretés avant de laisser place à de superbes percées de bleu. Telle est la narration imprécise, mais juste, de ce roman. Un récit fragmenté, aussi, à l’image de l’histoire tumultueuse du Chili. Des nuages sur la vérité, des nuages dans l’écriture car l’orage déclenché ce 11 septembre-là est encore si proche que, si bas, ils semblent vouloir écraser les générations suivantes.

À travers la rencontre de ces deux personnages profondément marqués par la grande histoire qui se mêle à la leur, l’auteur met en scène les conséquences de ce trouble passé, de ces non-dits, en faisant l’économie des mots, et rappelle que le travail de mémoire, au Chili comme dans les autres pays du Cône Sud, est long et difficile.

Partiellement nuageux, c’est également une écriture parlée, murmurée, chuchotée, pensée, qui suggère à la fois le trouble, la pudeur, les réflexions de deux personnages encore submergés par des interrogations restées sans réponse. Et la réponse n’est pas dans les étoiles. Ema et Ernesto doivent tracer ensemble le chemin possible vers la paix, leur paix. Un chemin délicat que l’écriture d’Antoine Choplin mime et ne dévoile qu’à moitié. Comme si les mots étaient comptés.

Marlène LANDON

Partiellement nuageux d’Antoine Choplin, La fosse aux ours, 134 p., 16 €.

Antoine Choplin, né en 1962, est depuis 1996 l’organisateur du festival de l’Arpenteur, en Isère, événement consacré au spectacle vivant et à la littérature. Il vit près de Grenoble, où il concilie son travail d’auteur, ses activités culturelles et sa passion pour la marche en montagne. Il est également l’auteur de plusieurs livres parus aux éditions de La fosse aux ours, notamment Radeau (2003, Prix des librairies Initiales), Léger fracas du monde (2005) et L’Impasse (2006).

Après les Belles Latinas d’octobre prochain, il figurera parmi les invités des Bellas Francesas de 2020.