Jaime Torres, une vie dédiée au charango et à la musique latino-américaine

Le charango occupe aujourd’hui une grande place parmi les instruments autochtones sud-américains les plus connus au monde, mais il y a soixante-dix ans, ce n’était pas ainsi. Sa réputation est due à Jaime Torres, musicien folklorique argentin, qui a réussi, presque à lui tout seul, à populariser le charango dans le monde entier. Après une longue trajectoire de soixante-quatre ans, Jaime Torres est décédé en décembre dernier à l’âge de 80 ans, laissant derrière lui un legs musical et culturel énorme.

Photo : Diario26

Le charango, cet instrument qui provient de l’époque coloniale et qui naquit grâce à une modification de la mandoline de la part des populations de l’Altiplano, était utilisé majoritairement comme un instrument d’accompagnement, celui qui faisait le rythme des chansons. Et c’est donc cet aspect que Jaime Torres a réussi à bouleverser dans le monde du charango : il a fait de son instrument le centre de la musique. Ce n’était plus seulement l’accompagnement rythmique, le charango était désormais le livreur de la mélodie, l’instrument principal.

Jaime Torres est né au sein d’une famille d’origine bolivienne, dans la province de Tucumán, au nord-ouest de l’Argentine, mais il a grandi à Buenos Aires. Il était entouré de l’air porteño[1], mais il garda toujours son identité indigène grâce à ses parents qui parlaient le quechua autour de lui et qui l’encouragèrent à poursuivre sa passion avec le charango. Dès un très jeune âge, il fut l’élève de Mauro Núñez, un musicien accompli et artiste bolivien, qui en plus lui construisit son premier charango. Il commença à gagner en popularité d’abord en Argentine, puis gagna progressivement une reconnaissance mondiale, eut l’opportunité de se présenter dans les plus prestigieux théâtres du monde, tel que la Philharmonie de Berlin ou le Lincoln Center à New York City.

Lorsque Torres jouait, sa virtuosité était évidente, mais en même temps on pouvait clairement apercevoir comment il ressentait la musique à travers son corps. Il était constamment en mouvement, son visage reflétait la facilité avec laquelle il dominait son charango, et en même temps la passion qu’il avait envers sa musique. D’autre part, son talent comme compositeur fut un élément clé de son succès. Il était capable de montrer des images de l’Altiplano andin à travers sa musique, comme une synesthésie. Néanmoins, il attribuait tout son talent et sa virtuosité, figurativement, à ses gènes, à son sang bolivien et andin, quelque chose qu’il voyait dans ses enfants aussi. Comme il l’explique dans une interview, lorsque sa fille, totalement porteña, était petite et qu’elle écouta des chansons typiques boliviennes, il semblait qu’elle les avait connues toute sa vie.

Jaime Torres fut le plus grand référent du charango de toute l’histoire, et aussi un important représentant des indigènes, en Amérique latine comme ailleurs. Son œuvre et sa passion peuvent être résumées avec ce petit poème qu’il récitait parfois accompagné d’une douce mélodie de charango : «Cuando toco mi charango, rezo por la Pachamama, me voy cerrando los ojos al útero de mi mama. Charanguito, niñito Dios carpintero, voy a rascar tu pupito lleno de miel de huanquero, vidatay tan alhajito. Panza arriba mi charango, cariñoso como chango, cruzado con quiriquinchito.»

Nicolás BONILLA CLAVIJO


[1] Originaire de la capitale, Buenos Aires.