Narcotrafics internationaux et politique : Le Gardien de la Joconde de Jorge Fernández Díaz

On sait depuis longtemps que le narcotrafic est devenu international, avec des ramifications un peu partout en Occident et en Amérique latine. On savait probablement moins que l’Argentine était aussi concernée et que des dirigeants politiques proches du péronisme s’enrichissaient grâce à lui. Jorge Fernández Díaz, qui est journaliste, est parti d’un fait réel pour construire un roman plein de rebondissements.

Photo : Actes Sud/La Gaceta

Que vient donc faire à Buenos Aires la belle Nuria Menéndez Lugo, avocate madrilène qui vient de s’installer dans un hôtel central et semble faire du tourisme et beaucoup d’achats ? Rémil, vétéran de la guerre des Malouines, est chargé d’apporter une réponse en la surveillant discrètement. Il appartient à une agence de renseignements officieuse et ne connaît pas les raisons de cette filature, mais il se rend vite compte que l’agence, elle, sait déjà à peu près tout de la dame. Tout en devant ponctuellement accompagner Cristina Kirchner, présidente de l’Argentine, dans certains déplacements, il côtoie de près ou de loin, selon le point de vue, l’«élite» politique argentine.

Il évolue dans un monde où quelques-uns, ceux de l’Agence, savent tout sur tous, un monde terrifiant, car ces quelques-uns jouent de leur savoir sur les moindres détails de la vie de ceux dont ils s’occupent, de la belle Espagnole par exemple. Sous couvert de son métier, elle gère un lucratif trafic de drogue qui implique des personnalités politiques.

On assiste à la création, à l’organisation d’un réseau qui fera de l’import-export d’énormes quantités de produits divers, qui devient une puissante holding composée d’entreprises, grandes et moyennes, indépendantes les unes des autres pour éviter tout risque et qui, par un savant empilement, seront capables de générer des profits inconnus jusque-là dans la région. Rémil, star de la protection mais peu informé des mystères financiers des grands groupes industriels et commerciaux, découvre en même temps que nous la naissance de ce nouveau monstre créateur de gigantesques bénéfices potentiels.

À la base de cette organisation presque inhumaine, ce sont pourtant des personnes qui manœuvrent. Naturellement, ils ont des faiblesses, ce qui peut surprendre, mais qui intéressent Rémil : il voudrait bien déchiffrer la belle Nuria qui se dérobe sans cesse, lui qui est suivi par une psychiatre.

Rémil n’étant au fond qu’un «prestataire de services», quoique participant activement à la bonne marche de l’affaire, observe tout, vraiment tout, et nous détaille ses moindres activités (de nombreux passages débordent d’éléments souvent inutiles, il n’est pas sûr que le lecteur en demande autant à un roman noir), en témoin d’abord extérieur qui peu à peu devient témoin privilégié et qui finit par se poser des questions de fond, ce qui pourra présenter de graves dangers pour lui. Le fond, ce sont pour l’auteur les rapports privilégiés, très proches, avec le milieu péroniste des années Kirchner. Une sénatrice est partie prenante et ses amies ne sont pas les moins impliquées dans le trafic international.

Avec ce Gardien de la Joconde, Jorge Fernández Díaz, dont c’est le premier roman traduit en France, veut surtout informer et dénoncer : informer le lecteur sur les nouveaux cartels des drogues, qui eux aussi savent se mondialiser, et dénoncer les rapports douteux avec le monde politique qui peut facilement céder aux sirènes financières.

Christian ROINAT

Le Gardien de la Joconde de Jorge Fernández Díaz, traduit de l’espagnol (Argentine) par Amandine Py, éd. Actes Sud (Actes noirs), 445 p., 23 €. Jorge Fernández Díaz en espagnol : El puñal, ed. Destino, Barcelone.

Jorge Fernández Díaz est né à Buenos Aires en 1960. Journaliste et écrivain, il est l’auteur de huit romans et de plusieurs recueils de contes et de chroniques. Membre de l’Académie des lettres argentine, il a reçu de nombreux prix littéraires. Roman d’aventures, thriller d’espionnage et réquisitoire contre la doctrine péroniste, Le Gardien de la Joconde (Actes Sud, 2019), fondé sur des faits réels, démonte les rouages d’un système de corruption solidement ancré, tout en explorant le cœur d’un héros inoubliable.