Martín Vizcarra, président du Pérou, remporte son référendum contre la corruption

Le président péruvien, Martín Vizcarra, a remporté haut la main «son» référendum anticorruption, dimanche 9 décembre dernier. L’actuel président, ingénieur de 55 ans, était quasiment inconnu lorsqu’il a succédé il y a quelques mois à Pedro Pablo Kuczynski. 

Photo : TDG.ch

M. Vizcarra s’était livré à un bras de fer avec le Congrès, dominé par l’opposition fujimoriste (extrême droite), pour l’obliger à accepter un référendum national ayant pour but de déraciner la corruption dans le pays, son «cheval de bataille». Il avait présenté ses propositions de réformes le 28 juillet, après un scandale frappant l’institution judiciaire qui avait entraîné de multiples démissions, y compris celle du président de la Cour suprême, Duberlí Rodríguez. Et rappelons que les quatre derniers présidents du pays sont dans le collimateur de la justice péruvienne dans le scandale Odebrecht : outre M. Pedro Pablo Kuczynski, il s’agit d’Alejandro Toledo (2001-2006), d’Alan García (1985-1990, 2006-2011) et d’Ollanta Humala (2011-2016).

Ce référendum constitutionnel a eu lieu le 9 décembre dernier et était composé de quatre questions distinctes portant sur une réforme de la magistrature, la limitation du financement des campagnes électorales, celle du nombre de mandats des élus, ainsi que le retour au bicaméralisme. C’est la première fois depuis l’adoption de la Constitution, en 1993, que les Péruviens étaient appelés à se prononcer sur sa modification. Voici quelles étaient précisément les questions soumises au référendum :

  • «Approuvez-vous la réforme constitutionnelle sur la structure et les fonctions de la Cour nationale de justice, anciennement Conseil national de la magistrature ?»

La réforme propose la dissolution du Conseil, et son remplacement par une Cour nationale de justice dont les membres seraient désormais sélectionnés par le défenseur des droits, le procureur général, le président de la branche judiciaire, le contrôleur général et le président du tribunal constitutionnel, dans le cadre d’un processus public basé sur le mérite. La durée de leur mandat serait notamment limitée à cinq ans, non renouvelables. La Cour devrait également présenter un rapport annuel de ses activités devant le Congrès. Cette réforme est considérée comme la plus susceptible d’entraîner des changements en profondeur dans le pays.

  • « Approuvez-vous la réforme constitutionnelle qui régule le financement des organisations politiques ?»

L’article 35 de la Constitution régule le financement des partis politiques. Ses dispositions ont été vivement critiquées comme insuffisantes lorsque l’ex-directeur d’Odebrecht a avoué en mars 2018 avoir illégalement financé les campagnes électorales des quatre précédents présidents et même de l’adversaire du dernier. La réforme soumise à référendum propose d’établir des audits et des mécanismes de contrôle, de brider au maximum le financement des campagnes des candidats par des entités privées, et de mettre en place des sanctions pour les partis qui ne s’y conformeraient pas. Les groupes politiques se verraient également interdits de recevoir des dons de la part d’individus condamnés pour certains crimes, de même que ceux d’origine anonyme. Les nouvelles mesures imposant la transparence vont jusqu’à stipuler que «tout don d’origine non établie devra être considéré comme d’origine illicite».

  •  «Approuvez-vous la réforme constitutionnelle qui interdit la réélection immédiate des parlementaires de la République ?»

La réforme prévoit l’interdiction pour les parlementaires de se présenter à leur réélection pour un mandat consécutif. Ce changement est considéré comme en partie symbolique, le taux de réélection au Congrès se limitant à environ un tiers de ses membres en moyenne. Les Péruviens considèrent cependant à une très large majorité que leur législature est l’institution la plus corrompue de tout le pays. 

  • «Approuvez-vous la réforme constitutionnelle qui établit le bicamérisme au Congrès de la République ?»

La réforme prévoit un passage au bicaméralisme, qui ferait de l’actuelle chambre unique, le Congrès de la République composé de 130 députés, la chambre basse d’un Parlement auquel serait ajouté pour chambre haute un Sénat composé de 50 sénateurs. Les candidats devraient être Péruviens de naissance et être âgés d’au moins 25 ans pour les députés et 35 ans pour les sénateurs. Le système législatif péruvien avait déjà été bicaméral jusqu’en 1992. Cette année-là, le président Alberto Fujimori avait procédé par un coup de force à la dissolution du Congrès et à l’adoption d’une nouvelle constitution ne conservant que la chambre basse. 

Le projet originel prévoyait de baisser le nombre de députés à 100 et de porter à 30 celui des sénateurs. Le congrès dominé par le parti Force populaire est cependant parvenu à en détricoter le contenu. Le nombre de parlementaires était ainsi relevé et les dispositions imposant la parité homme/femme retirées. Surtout, les parlementaires procédaient à une modification du texte retirant au président le pouvoir de poser au Congrès une question de confiance sur un projet de loi qui, dans certaines circonstances, lui permet, en cas de refus, de procéder à la dissolution de l’Assemblée. Cette disposition venait justement d’être utilisée en septembre par le président Vizcarra pour forcer la main du Congrès qui tentait d’enterrer le projet référendaire. Les changements apportés au projet étaient tels que Vizcarra lui-même avait annoncé qu’il voterait contre.

Selon des résultats officiels provisoires portant sur 83,69 % des bulletins, les Péruviens ont approuvé massivement, à près de 80 %, les trois premières réformes constitutionnelles proposées par le chef de l’État. Les 130 législateurs actuels se retrouveront donc sans siège après la fin de leur mandat prévue le 28 juillet 2021. En revanche, les électeurs ont refusé de rétablir un système bicaméral, proposition initialement soutenue par le président Vizcarra qui s’était ensuite ravisé pour ne pas rogner les pouvoirs présidentiels. 

Ces résultats sont une victoire pour Martín Vizcarra, cet ingénieur de 55 ans quasiment inconnu lorsqu’il a succédé il y a quelques mois à Pedro Pablo Kuczynski. Il sort ainsi renforcé du scrutin au détriment du Parlement, ce dernier faisant les frais de son discrédit auprès des Péruviens. Ce référendum «marque le début d’un changement que nous souhaitons pour le Pérou et pour tous les Péruviens», a-t-il déclaré à l’issue du scrutin.

Catherine TRAULLÉ