Une superbe leçon de vie dans Un château à Ipanema de Martha Batalha

Martha Batalha aime la vie, elle ne peut pas le cacher. La vie, qui n’est pas exempte de souffrances et qui a la mort pour but inévitable, mais qui fait que ses personnages, qui n’ont rien des héros classiques, donnent envie de les accompagner quelques minutes ou plusieurs années. C’est ce qu’elle disait dans son premier roman, publié en 2016, et c’est ce qu’elle répète avec ce nouveau récit, feu d’artifice de légèreté et de profondeur, d’humour et de joie dans le décor idyllique de la plage d’Ipanema.

Photo : Editions Denoel

Pour commencer, c’est l’histoire d’un grand amour, entre Johan Edward Jansson, qui mesure au moins deux mètres, et Birgit, un peu différente, «soixante-dix kilos de femme répartis sur un mètre cinquante». Birgit souffre d’une légère particularité : des voix intérieures lui conseillent de prendre un parapluie un jour ensoleillé, ce qui lui permet d’être la seule à être protégée pendant l’orage imprévisible, mais elles la poussent parfois à briser tout un service en cristal dans l’appartement de location.

Mais ils s’aiment, ces deux-là ! Et ils s’installent à Rio de Janeiro, Johan ayant été nommé consul de Suède, leur pays. On est au tout début du XXe siècle. Quand les tourtereaux partent un peu à l’aventure pour un pique-nique dominical, se retrouvant sur une plage déserte, plus petite que celle de Copacabana et bien plus sauvage, ils savent que c’est là qu’ils vivront. Ce sont les premiers habitants d’Ipanema.

La description d’Ipanema, qui est encore bien loin des gratte-ciel et du luxe tapageur, est d’un charme subtil qui nous introduit dans un jardin d’Eden bien matériel, avec ses sales gosses qui volent les pommes du voisin, une princesse blonde (Birgit) qui s’émerveille de chaque coucher de soleil et surtout une tendresse partagée.

Martha Batalha sait à merveille passer de la drôlerie la plus débridée à l’émotion. C’est pourtant la joie qui règne, une grande joie saine et délicate. On ne peut qu’aimer très fort les personnages qui souffrent et savent étouffer leurs peurs ou leurs rancœurs. Si quelque chose ne va pas ‒et les raisons ne manquent pas au cours d’une existence‒, on va pleurer dans l’obscurité de la salle de bain, et le chagrin s’en va par le siphon.

Les descendants du couple d’origine, les deux Scandinaves, sont tout aussi touchants. Des gens ordinaires qui pourtant ont chacun une particularité et un point commun : une fascinante capacité à s’adapter, ce qui est la clé de leur bonheur. Peu importe si la source du plaisir est charnelle, éthylique ou gastronomique, l’essentiel est qu’elle ne se tarisse pas. Il est merveilleux, cet arbre généalogique dont parfois les rameaux s’entrecroisent et dont chaque branche porte des grappes d’anecdotes pleines de sève.

Sous les anecdotes d’une efficace drôlerie, Martha Batalha aborde des sujets multiples, graves pour la plupart : la décomposition d’un couple, les excès dramatiques de la dictature, le sida, la place de chacun dans la ville, dans la vie. Elle le fait avec une grâce et une délicatesse surprenante. Le moindre détail a son importance : un seul paragraphe qui résume la vie d’une domestique résume aussi l’état du Brésil dans les années 1960.

Tout n’est pas joli, dans Un château à Ipanema. Il y a les militaires, quelques trahisons, plusieurs adultères, mais ce Château est plein de grâce, de soleil, d’élans de vie. C’est une lecture qui vous comblera sur tous les plans et avant tout par la façon unique qu’a Martha Batalha de raconter une histoire simple. Magistral, simplement magistral.

Christian ROINAT

Un château à Ipanema de Martha Batalha, traduit du portugais (Brésil) par Diniz Galhos, éd. Denoël, 341 p., 21 €. Martha Batalha en portugais : Nunca houve um castelo / A vida invisível de Eurídice Gusmão, ed. Companhia das Letras. Martha Batalha en français : Les mille talents d’Eurídice Gusmão, éd. Denoël.

Martha Batalha, née à Rio de Janeiro en 1973. est une journaliste, éditeur et écrivaine brésilienne. Son premier roman, La vie invisible d’Euridice Gusmão, a été vendu aux éditeurs en Allemagne et en Norvège avant d’être publié au Brésil. Site de l’auteur.