Asile à un ex-guérillero chilien : décision d’un organe indépendant, selon l’ambassade de France

L’Office français de protection des réfugiés et apatrides a agi en «toute indépendance» dans l’octroi de l’asile politique à Ricardo Palma Salamanca, ancien guérillero chilien, a déclaré samedi l’ambassade de France au Chili après les protestations du gouvernement chilien, qui souhaite son extradition.

Photo : Mediapart

Après plus de vingt ans de cavale, l’Ofpra a accordé le 4 novembre dernier le statut de réfugié politique à l’ancien guérillero Ricardo Palma Salamanca dont le gouvernement chilien demande l’extradition afin qu’il soit jugé au Chili pour l’assassinat du principal idéologue de la dictature de Pinochet

Ricardo Palma Salamanca, agée de 49 ans, est un ancien membre du Front patriotique Manuel Rodríguez (FPMR), groupe armée opposant au régime militaire qui avait commencé ses actions en 1983. Il fut condamné au Chili en 1992 pour l’assassinat de Jaime Guzmán, sénateur de l’UDI (parti pinochetiste dont il fut le fondateur) et de deux militaires ainsi que pour la participation dans l’enlèvement du riche entrepreneur Cristian Edwards, fils du propriétaire du journal de droite El Mercurio, en septiembre de 1991. Ricardo Palma Salamanca, en cavale depuis 1996, avait participé aussi à l’attentat frustré du FPMR contre le général Pinochet en 1986.

Qui était l’ex sénateur Jaime Guzmán ?

Le sénateur assassiné Jaime Guzmán fut élu au retour à la démocratie grâce au système binominal contre l’ancien président Ricardo Lagos bien que ce dernier eût obtenu plus de voix. Il fut aussi l’idéologue de la dictature et l’un des principaux conseillers d’Augusto Pinochet entre 1973 et 1990 ainsi que le principal concepteur de la Constitution de Pinochet de 1980. Guzmán faisait partie du groupe paramilitaire d’extrême droite Patrie et Liberté, sans pour autant participer à des actions armées.  Il fut aussi le président entre 1983 y 1987 de l’UDI, parti pinochetiste, là il a battu les bases de son conservatisme sociétal, de la défense de la dictature de Pinochet, de l’ultralibéralisme. Il s’inspirait de thèses de Carl Schmitt pour instaurer un État autoritaire et une économie néolibérale. Il fut la figure de prou de l’opposition à la Concertation pour la démocratie arrivée au pouvoir à la fin de la dictature (mouvement politique regroupant les partis libéraux, démocrates chrétiens, socialistes) jusqu’à sa mort

L’histoire d’une fuite

Le 30 décembre 1996, Palma Salamanca prit la fuite avec d’autres complices de la prison d’haute sécurité de Santiago lors d’une opération spectaculaire organisé par le FPMR depuis un hélicoptère. Dès ce jour, il était recherché par la police chilienne et internationale. Il a vécu sa clandestinité au Mexique avec d’autres compagnons de cavale. Trois mois après sa fuite il a écrit une lettre à sa mère opposant la suivante signature “Richard Kimbal”, le protagoniste de la série Le fugitif. Dans la clandestinité il a écrit deux libres : El gran rescate, où il raconte sa fuite en 1996, et Una larga cola de acero, son histoire au sein du FPMR. Palma vécut au Mexique jusqu’en 2017 comme photographe sous le nom d’Esteban Solís Tamayo , il était en couple avec Silvia Brzovic Pérez.

Le 16 février 2018, l’ancien guérillero fut arrêté en France lors d’une opération d’Interpol. Le juge chargé du dossier l’a laissé en liberté surveillée. Le 10 octobre passé, la Cour d’appel de Paris a reçu et examiné la demande d’extradition du gouvernement chilien. La décision du tribunal ne sera pas connue avant le 12 décembre. Mais, entretemps, le 4 novembre dernier l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a décidé en « toute indépendance » d’octroyer l’asile politique à Ricardo Palma Salamanca et à sa famille. Sur quoi, le gouvernement chilien a protesté auprès de l’ambassade de France à Santiago. La réponse du gouvernement français à travers d’un très bref communiqué a été que dans cette affaire « l’Ofpra est un organisme public qui statue en toute indépendance, dans le cadre de la loi française, concernant les demandes d’asile qui lui sont soumises ».

La demande d’extradition en cause

Le ministre chilien de l’Intérieur Andrés Chadwick (membre de l’UDI) avait rencontré l’ambassadeur français au Chili pour lui faire part du désaccord du gouvernement chilien à propos de la décision de l’Ofpra, tout en enjoignant son homologue français Christophe Castaner à «annuler cette décision», contrevenant selon lui aux normes de la Convention de Genève sur l’asile et la protection. Lors de sa courte visite en France le président de droite Sebastián Piñera a fait savoir au président français Emmanuel Macron que le Chili « souhaitait que Palma Salamanca revienne au Chili pour être jugé pour des délits de terrorisme ».

En effet, la Justice chilienne avait condamné le guérillero à perpétuité sous un procès très contesté. Des intellectuels en France avaient demandé en juillet passé l’asile politique pour Ricardo Palma Salamanca. Dénonçant une sentence dictée dans des conditions inacceptables (sous la torture) et sur la base d’une loi antiterroriste adopté en 1984 sous le régime militaire. La lettre publiée dans le portal ‘Mediapart’ était signée entre autres par la cinéaste chilienne Carmen Castillo, par le socialiste Olivier Duhamel, le juriste Louis Joinet, le sociologue Alain Touraine ainsi que le réalisateur Costa-Gavras. D’autres organisation telles France Amérique Latine ou l’Association d’Ex détenus politiques chiliens en France, avaient signé la demande.

Désormais, l’issue de cette histoire est dans les mains de la Cours d’appel de Paris sur laquelle le gouvernement chilien ainsi que des représentants de l’opposition de centre gauche dont l’ancien président socialiste Ricardo Lagos font pression pour que l’ancien guérillero soit extradé. Cette affaire nous rappelle gardant toute la distance nécessaire, le cas de l’arrestation de Pinochet à Londres où la classe politique chilienne toutes tendances confondues s’est acharnée pour faire en sorte que le dictateur soit renvoyé au pays. Pour les politiques chiliens, donner l’asile politique à Ricardo Palma Salamanca équivaudrait à ne pas reconnaître que le Chili est un État de droit. Mais l’était-il au moment du procès de Palma Salamanca alors que Pinochet était encore commandant en chef de l’Armée chilienne et le retour à la démocratie n’était qu’à ses débuts ? La droite chilienne veut même obliger l’ancienne présidente Michelle Bachelet, aujourd’hui en poste aux Nations Unies à Genève, à se prononcer sur cette affaire.

Le 12 décembre devant la Cour d’appel de Paris : Macron peut difficilement demander au pouvoir judiciaire de décider dans un sens ou un autre, et il ne semble pas possible que la justice française accepte de renvoyer dans son pays ce Chilien qui vient d’obtenir l’asile politique en France. Ricardo Palma Salamanca, et ses soutiens en France et au Chili sont soulagés par la décision de l’Ofpra. Tous rappellent l’actuel réfugié s’était battu contre la dictature quand Augusto Pinochet concentrait encore tous les pouvoirs et régnait sous la terreur même s’il faut le redire l’assassinat de Guzmán a eu lieu au retour de la démocratie.

Olga BARRY