Une version restaurée du classique Guantanamera en salle à partir du 17 octobre

Le cinéma cubain est à l’honneur ce mois-ci avec la ressortie en salle d’un joli classique. Dernier film de Tomás Gutiérrez Alea, Guantanamera est aussi sa seconde coréalisation avec Juan Carlos Tabío, un an après le succès de Fraise et chocolat (Ours d’argent de Berlin, 1994). Avec Guantanamera, les deux réalisateurs délaissent la capitale cubaine pour aller filmer le reste du pays dans une comédie-road-trip grinçante, à bord d’un corbillard fatigué.

Photo : Guantanamera

Suite au décès de la tante de son épouse, Adolfo trouve l’opportunité de mettre en pratique sa théorie bureaucratique : il accompagnera la défunte à sa dernière demeure. Une folle expédition qui lui fera traverser tout le pays, au rythme entraînant de la célèbre chanson «Guantanamera». La route sera longue, semée d’embûches et d’incroyables rencontres…

Dans un décor décrépi, le film démarre sur les échauffourées d’une réunion de bureaucrates autour d’une question à la fois fondamentale et si grotesque qu’elle pousse l’absurdité de la scène à la dérision : comment procéder au rapatriement et à l’enterrement des morts d’une région à l’autre du pays ? Avec ces quelques minutes, on pourrait penser que le film nous a présenté tout son objet : mise en lumière des coulisses d’un régime sclérosé qui ne pense qu’à faire des économies, mari en quête de pouvoir qui étouffe à ses côtés sa femme «faire-valoir», le tout teinté d’humour noir manié avec élégance. Tout est dit… enfin presque !

Une fois la solution trouvée pour le rapatriement des défunts, tata Yoyita vient à mourir. Voici alors son amant de toujours, sa nièce et son mari embarqués sur les routes de Cuba, bien décidés à ramener le corps à la maison en appliquant la méthode nouvellement adoptée. Le film prend alors une autre ampleur en devenant un road-trip fascinant en territoire socialiste cubain. Les personnages se multiplient et les habitants nous partagent à l’écran leur quotidien. Dans le film, chacun y va de sa méthode pour survivre, de la vente de bananes au bord de la route au restaurant illégal. Et dans ce contexte où les plus malins survivent, ce ne sont pas les hommes du régime les mieux lotis…

La beauté du film réside aussi dans la mise en scène poétique des relations contrariées. Car de la mort de tata Yoyita jaillit des frustrations. Celle de son amant d’abord, le vieux Cándido, mais aussi de sa nièce Georgina, voluptueuse professeure au chômage qui retrouve foi en elle et en sa liberté grâce à l’amour que lui porte un de ses anciens étudiants rencontrés en cours de route. Tout au long du film se dessine ainsi une poésie de l’amour en visions fantastiques, en échanges tendres et parfois très (trop ?) sirupeux, qui contraste avec les frasques répétées, vaudevillesques bien qu’absurdement réalistes de l’amant de Georgina. Bref, un film à la légèreté jamais tragique où même les déboires politiques de Mariano le fonctionnaire ne font jamais tout à fait de lui un personnage tragique.

Guantanamera est une comédie agréable et douce qui vaut le coup d’être (re)découverte. Pour sa ressortie en salle, le film bénéficie d’une très jolie copie restaurée qui mérite qu’on s’y plonge pour profiter autant des paysages cubains que de la reprise de la guarija-son «Guantanamera» qui accompagne et chante le récit tout au long du film.

Kévin SAINT-JEAN