«Zama», un film argentin réalisé par Lucrecia Martel d’après le roman d’Antonio Di Benedetto

XVIIIe siècle. Le magistrat espagnol don Diego de Zama, isolé dans le Gran Chaco, espère une lettre du vice roi du Río de la Plata signifiant sa mutation pour Buenos Aires. Souffrant de l’éloignement de sa famille, de l’ennui de son travail de fonctionnaire et du manque de reconnaissance de sa hiérarchie, son impulsivité et son manque de sens des relations sociales le conduisent d’échec en échec. Il vit dans un état second qui finit par entraîner chez lui une fièvre tropicale l’emportant de plus en plus loin de la réalité. Sa plongée dans la folie est exprimée par de subtiles nuances à la fois brillantes et inquiétantes. Superbement filmé, ce film historique propose une critique incisive des préjugés sociaux et raciaux qui trouve une forte résonance contemporaine.

Photo : Zama/Sens Critique

Lucrecia Martel est une grande cinéaste et c’est peut-être ce coté Désert des Tartares qui l’a intéressée dans le roman d’Antonio Di Benedetto publié à l’origine en 1956 et récemment réédité. Comme toujours chez Lucrecia Martel, le rythme est lent, les cadrages serrés, le montage très travaillé. Formellement, l’image est très belle, opposant les intérieurs très sombres et les personnages confinés à la beauté des extérieurs extrêmement bien choisis. Puis l’image devient différente lorsque le protagoniste quitte son travail pour se lancer dans des endroits insalubres.

C’est donc une œuvre remarquable, un peu rigide, dont la beauté formelle est à couper le souffle. Ce n’est que le quatrième film de la réalisatrice qui avait commencé sa carrière avec des courts métrages. En 2001, elle réalise son premier long métrage, La Ciénaga. Son second film, La Niña santa, portrait d’une adolescente, est présenté en compétition à Cannes en 2004. Elle est d’ailleurs membre du jury présidé par Wong Kar-wai en 2006. Elle y présente en 2008 son troisième long métrage, La Femme sans tête. Elle enseigne le cinéma et a une énorme influence sur les cinéastes argentins et latino-américains actuels.

«Lorsque j’ai terminé La Femme sans tête, explique Lucrecia Martel, j’ai eu la sensation d’arriver au bout de quelque chose. Par ailleurs, je souhaitais m’immerger dans le monde d’autres auteurs avec, dans un premier temps, l’adaptation de la bande-dessinée El Eternauta (L’Éternaute), puis celle de Zama. La spécificité de Zama est que ce roman est une véritable invention linguistique ; dans l’ordre des mots, dans les temps utilisés, il y a un pouvoir à l’œuvre qui a de lourdes conséquences sur le corps. Je m’en suis rendue compte à l’écriture des dialogues. Toute l’équipe a travaillé à reconstituer l’esprit de Di Benedetto. Nous n’avons pas hésité à inventer notre XVIIIe siècle […]. Nous voulions des lieux d’époque, mais pas seulement. Nous avons constitué une équipe de Brésiliens : Karen Pinheiro et ses amazones nous ont apporté l’architecture religieuse de la région de la Chiquitanía, mais nous l’avons utilisée pour des bâtiments non religieux. Karen a également utilisé les couleurs des sables d’Empedrado, dans la province de Corrientes. Le bâtiment gouvernemental a été filmé à Chascomús, en plein hiver

En salle le 11 juillet !

Alain LIATARD