Disparition du grand cinéaste brésilien Nelson Pereira dos Santos

L’Académie brésilienne des lettres a annoncé le samedi 21 avril dernier le décès du réalisateur Nelson Pereira dos Santos, l’un des précurseurs du Cinema Novo, âgé de 89 ans et souffrant d’un cancer. Il a tourné plusieurs pièces maîtresses dans l’histoire du cinéma brésilien comme Rio, 40 ° (1955) et Sécheresses (1963).

Photo : TVI24

Né à São Paulo en 1928, Nelson Pereira dos Santos venait d’une famille plutôt modeste. Son père, tailleur et surtout cinéphile, avait pour habitude d’emmener son fils au Cine Teatro Colombo le dimanche, où ils pouvaient passer la journée entière à voir la programmation dominicale. Sa vocation pour le cinéma se confirme lors de son voyage à Paris en 1949, durant lequel il fréquente la cinémathèque française et côtoie les mouvements intellectuels parisiens d’après-guerre.

À son retour, il s’installe à Rio, alors capitale du Brésil, et se lance dans le cinéma en réalisant ses premiers films et documentaires. Il considère que les films doivent avant tout porter «à l’écran la vie, les histoires, les luttes, les aspirations» des Brésiliens, et critique virulemment l’industrie cinématographique brésilienne de l’époque qui ne produit que d’insipides mélodrames. Avec des moyens très limités, il filme à l’aide d’une caméra prêtée Rio, 40 ° (1955), un des films les plus novateurs des années 50 au Brésil. Il montre la vie quotidienne dans un Rio de Janeiro sous un jour bien différent de celui qui sert de décor dans les films qui se faisaient jusqu’alors. Influencé par le néoréalisme italien, il prend des acteurs non professionnels et choisit des décors naturels dans les quartiers pauvres de la zone nord de la ville. Il donne ainsi naissance à un mouvement qui va renouveler le cinéma brésilien et même international. Rio, 40 ° connait en effet un retentissement mondial, d’autant plus que le film est censuré dans un premier temps par le pouvoir en place, prétextant notamment qu’il n’a jamais fait 40° à Rio… Les pouvoirs autoritaires ne manquent pas d’humour !

En 1963, il réalise le chef d’œuvre Sécheresses, adapté de la nouvelle du même nom du grand auteur brésilien Graciliano Ramos. Il part avec son équipe de tournage dans le Sertão, région désertique du Nordeste brésilien et cadre de l’histoire. Mais, comble du sort, cette année-là est particulièrement pluvieuse et il doit repousser le début du tournage. Une fois la sécheresse revenue, il dévoile dans le film l’extrême pauvreté des habitants du Sertão et ses vies déshumanisées. Avec un réalisme documentaire, il utilise la lumière naturelle pour donner une intensité presque journalistique à la trame dramatique. Il donne ainsi l’impulsion définitive au Cinema Novo, théorisé ensuite en 1965 par le cinéaste et chef de file du mouvement Glauber Rocha. Cette révolution thématique et stylistique aborde les thèmes auparavant soigneusement évités de la faim, de la misère, de la révolte contre les inégalités et des grands mythes dans les consciences populaires.

Malheureusement, ce mouvement artistique majeur, qui a proposé une réflexion critique sur la réalité en exposant les injustices sociales, est stoppé net avec le coup d’État militaire en 1964. Pereira dos Santos, comme les autres artistes brésiliens, est alors contraint de réaliser des films plus allégoriques pour contourner la censure, comme El Justiciero (1966), Soif d’amour (1967-68), L’Aliéniste (1969) d’après un conte de Machado de Assis ou Qu’il était bon mon petit français (1970).

Par la suite, il poursuit ses recherches vers des thèmes mêlant religieux et politique, comme dans L’Amulette d’Ogum (1974), où il place au centre de la scène les religions afro-brésiliennes. Il poursuit ce cycle avec La Boutique aux miracles (1975) et Bahia de tous les saints (1987), tirés de deux nouvelles de Jorge Amado, auteur qu’il admire particulièrement. Ces deux dernières décennies, il revient finalement aux documentaires : d’abord sur le poète et dramaturge Castro Alves avec Guerra e Liberdade (1998), puis l’historien et critique littéraire Sergio Buarque de Holanda avec Raízes Do Brasil (2003) et enfin le musicien fondateur de la bossa nova célèbre dans le monde entier, avec La musique selon Tom Jobim (2011).    

En s’inspirant des plus grands auteurs brésiliens (Graciliano Ramos, Machado de Assis, Jorge Amado, Guimarães Rosa) et en rendant hommage aux intellectuels et artistes brésiliens, Nelson Pereira dos Santos s’inscrit dans une dynamique artistique brésilienne d’une grande richesse. Plus qu’un simple relai de ses illustres prédécesseurs, il a surtout apporté un pan immense à l’histoire du cinéma sud-américain et mondial. Muito obrigado, Senhor !

Gabriel VALLEJO