À Valence, 19e « Regards sur le cinéma espagnol et latino-américain » au cœur de la Drôme

Depuis maintenant 19 ans, les Regards sont un rendez-vous incontournable du paysage culturel de Valence. Marie-Pierre Bossan, professeur d’espagnol à l’IUT de Valence, en est à l’origine. Passionnée de cinéma hispanique, elle a eu l’idée de ce festival consacré aux films espagnols dès son arrivée dans la Drôme en 1999. Elle a donc commencé par démarcher les cinémas locaux pour concrétiser son projet, et c’est finalement le cinéma d’art et essai Le Navire, bien connu des cinéphiles valentinois, qui a accepté de se lancer dans l’aventure.

Photo : Regards

La toute 1ère édition s’est tenue en mars 2000, réunissant 200 spectateurs sur trois jours avec cinq films espagnols. Un début certes modeste mais qui prouvait néanmoins à Bruno Boyer, le directeur du Navire de l’époque, qu’il y avait un public potentiel. La manifestation s’est par la suite étendue à une semaine, s’étoffant d’animations et de rencontres, et ouvrant sa sélection de films à l’Amérique Latine. Et ça marche ! Au fil des années, le public est au rendez-vous, toujours plus nombreux. Et si le festival perdure, c’est avant tout grâce aux spectateurs, à leurs encouragements, aux moments partagés avec eux. « J’ai eu souvent envie de tout arrêter parce que ça devenait trop lourd, mais chaque fois à l’issue du festival, je me sentais comme ranimée en voyant l’enthousiasme du public », confie Marie-Pierre Bossan.

La difficulté majeure pour les Regards, comme pour tout festival de région, c’est de parvenir à faire face aux grosses manifestations que sont le Cinespaña de Toulouse ou le Festival de cinéma espagnol de Nantes. Non que ces festivals représentent des concurrents : au contraire, cette multiplication des évènements a créé une dynamique et contribué à ce que davantage de films soient distribués. Mais comme les Regards sont moins connus, il leur est plus difficile de se procurer des films non distribués en France – films dont il existe des copies sous-titrées accessibles par le biais de l’ICAA, équivalent espagnol du Centre National Cinématographique. Et pour cela, il faut davantage de visibilité et de moyens. Il faut donc batailler chaque année pour trouver des films, des partenaires financiers et faire venir des réalisateurs dans cette petite ville de province…

Marie-Pierre Bossan est secondée dans cette tâche par Cyril Désiré, l’actuel directeur du cinéma Le Navire, et par ses élèves de l’Institut Universitaire de Technologie. « En tant qu’enseignante dans des filières de commerce et communication, je travaille avec un groupe d’étudiants qui se charge d’une partie de la communication et de la recherche de sponsors. L’approche pédagogique sous forme de « projets tutorés » me plaît, mais là encore ce n’est pas toujours facile car les étudiants changent tous les ans et n’ont donc pas la mémoire de ce qui a été fait. Il faut repartir de zéro chaque année. » Une petite équipe de fidèles partenaires de la première heure gravite en outre autour des deux organisateurs : la graphiste Anne Poupard, la Médiathèque de Valence, l’Aduda (Agence de Développement Universitaire), médias locaux, associations et commerçants…

L’association Chisp@

On l’aura compris, porter un festival comme les Regards demande de la persévérance et de l’énergie. « Ce qui est certain, c’est qu’il manque une vraie structure associative. Pour l’instant le festival s’appuie sur trop peu de personnes, et je crois que des soutiens extérieurs sont indispensables pour ne pas perdre l’enthousiasme au fil des années » nous confiait Marie-Pierre Bossan en 2012. De la parole aux actes, il n’y avait qu’un pas et les Regards l’ont franchi en 2013, en créant l’association Chisp@ (Cine Hispánico-Cultura Hispánica), 100 % féminine. Marie-Pierre Bossan peut désormais compter sur trois consœurs enseignantes elles aussi  pour l’épauler. Programmation, recherche d’invités et de partenaires, communication, « las cuatro chispas » (étincelles) ne ménagent pas leurs efforts pour proposer un festival qui n’a rien à envier à des manifestations plus médiatisées.

Passés de 8 à 11 jours en 2014, les Regards ont également su s’entourer et multiplier les partenariats. Labellisé Festivals Connexion (réseau des festivals de cinéma en Rhône-Alpes) depuis 2012, le festival fait partie du dispositif Lycéens et apprentis au cinéma et a signé en 2016 une convention avec le GRIMH (Groupe de Réflexion sur l’Image dans le Monde Hispanique), qui réunit des grands spécialistes de ce domaine. Les Regards sont également soutenus par l’Instituto Cervantes de Lyon, dont le directeur Domingo García Cañedo a ouvert l’édition 2015. Ils collaborent aussi avec le Théâtre de la Ville et le Train-Théâtre pour des concerts, le Train-Cinéma pour des séances délocalisées, et pour la première fois cette année avec L’Equipée, acteur pédagogique et culturel de La Cartoucherie (pôle national d’excellence du film d’animation) qu’on ne présente plus.

Un lieu d’ouverture, de rencontres et d’échanges

Être petit peut aussi être un avantage : la spécificité des Regards, c’est que leur taille humaine permet des échanges privilégiés. Toujours animé par ce désir de rencontres et de dialogue, le festival reçoit chaque année des réalisateurs (Juan José Lozano, Gabriel Velázquez, Jaime Rosales, Adrián Saba, Nina Faure, Julia Solomonoff…) et des universitaires (Jean-Claude Seguin, Nancy Berthier, Emmanuel Larraz, Sonia Kerfa, Jean Ortiz, Magali Kabous, Jean-Paul Aubert…). Depuis ses débuts, le festival se veut aussi militant, comme le prouvent les thématiques abordées et les intervenants invités, souvent avec l’aide des Amis du Monde diplomatique. Sont ainsi intervenus Maurice Lemoine sur la Colombie et le Venezuela, Franck Gaudichaud sur le Chili et Salim Lamrani sur Cuba.

Autant dire que depuis son lancement, les Regards ont fait du chemin et ont su fidéliser leur public. Dix-neuf ans après, ils sont au mieux de leur forme. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : l’édition 2017 a rassemblé quelque 6000 spectateurs un chiffre honorable dans une ville de 65 000 habitants autour de 45 films originaires de 9 pays hispanophones et 150 séances. Et surtout, le festival commence à compter des invités prestigieux : le temps fort des 18èmes Regards fut incontestablement la venue de Javier Gutiérrez, Goya 2014 du Meilleur acteur. Un hommage lui a été rendu à travers la projection de quatre de ses derniers films, dont la superproduction 1898 : Los últimos de Filipinas, championne des nominations aux Goya 2017. Non distribuée en France, elle a été pour l’occasion sous-titrée en français par l’équipe du festival… une première !

La 19ème édition, du 7 au 18 mars 2018

L’événement de cette 19ème édition sera sans conteste la venue d’Antonio de la Torre, invité d’honneur du festival. Acteur de premier plan du cinéma espagnol actuel, il compte à son actif près de 60 films et 11 nominations aux Goya, et a tourné avec les réalisateurs les plus en vue (Pedro Almodóvar, Álex de la Iglesia, Icíar Bollaín, Alberto Rodríguez, Steven Soderbergh). Un hommage lui sera rendu à travers la projection de ses derniers films, dont Abracadabra en avant-première, El autor, encore inédit en France, Que Dios nos perdone et La colère d’un homme patient.

« Le gros plan Colombie, le chemin vers la paix » s’intéressera aux quatre années de processus de paix entre les FARC et le gouvernement colombien, avec la projection exceptionnelle du documentaire inédit en France El silencio de los fusiles de Natalia Orozco, séance qui sera suivie d’un échange avec la réalisatrice en visio-conférence depuis la Colombie.

Le festival consacrera également trois focus : l’un sur l’Espagne de la transition démocratique avec la reprise en version restaurée de Vivre vite ! de Carlos Saura, un autre sur l’Espagne de la crise immobilière avec Bricks de Quentin Ravelli, et un dernier sur le Cuba des années 60 avec Rouges années de Renaud Schaack. Parallèlement aux projections, on retrouvera tous les rendez-vous habituels : l’apéritif de la soirée d’ouverture devant l’exposition de photos de Christophe Kuhn Amers Indiens en Amérique Latine, le ciné-goûter pour les enfants, l’élection du Coup de cœur du public, les concerts et soirées dansantes aux accents latinos, et la grande soirée de clôture ciné-tapas. Tout cela dans une ambiance festive et conviviale, avec des moments forts en émotions.

Christelle GUIGNOT 

Regards : du 7 au 18 mars 2018 au cinéma Le Navire, 9 bd d’Alsace, 26000 Valence – Programme Regards Valence – Facebook