L’Accord de libre échange nord-américain, ALENA : reprise des négociations dans la capitale mexicaine

Le Canada, les États-Unis et le Mexique se sont retrouvés dans la capitale mexicaine pour parler de l’Alena. Les négociateurs vont se rencontrer 52 fois entre les 27 février et 5 mars 2018. L’Alena, Accord de libre-échange nord américain, a été signé le 17 décembre 1992 par George Bush, Carlos Salinas de Gortari et Brian Mulroney. Il est entré en vigueur le 1er janvier 1994. Le même jour une guérilla inconnue, bien armée et informatisée, entrait en dissidence violente dans le Chiapas, au sud du Mexique, l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale).

Photo : Radio Canada

Donald Trump a exigé en 2017 une renégociation. Depuis l’été dernier, les experts des trois pays négocient. Sans grands espoirs. Mais sait-on jamais ? Donald Trump a ciblé dans sa campagne électorale le Mexique comme responsable des maux qui perturbent ses concitoyens. Le Mexique empoisonnerait la jeunesse avec ses drogues, le Mexique laisserait passer des migrants va-nu-pieds vers le Nord, dont beaucoup seraient selon le locataire de la Maison Blanche porteurs de maladies, et même terroristes. Le Mexique, enfin, volerait le travail des classes laborieuses des États-Unis.

L’Alena en résumé serait un accord hautement dommageable aux intérêts nord-américains. Donald Trump l’a rappelé le 25 février 2018 devant un aéropage conservateur. L’accord aurait aspiré des milliers d’emplois et généré un commerce extérieur déséquilibrant la balance des échanges. « Notre déficit est de 100 milliards de dollars. Ce qui veut dire que l’Alena n’est pas bon. Il faut donc le renégocier pour restaurer un équilibre, plus favorable aux intérêts des États-Unis », a-t-il déclaré. Et si cela n’est pas possible, le dénoncer. Comme cela a été fait pour le Traité de libre-échange Trans-Pacifique, l’Unesco et le Traité de Paris sur le climat. Canadiens et Mexicains ont bien reçu et compris le message, ou l’injonction. Et depuis six mois, ils s’efforcent de préserver ce qui peut l’être.

Le propos « Trumpien » laisse entendre qu’ Ottawa et Mexico auraient tiré les marrons du feu. L’investissement nord-américain, il est vrai, est monté en puissance. Et avec lui les emplois délocalisés. Le Mexique est ainsi devenu en quelques années un des producteurs d’automobiles les plus importants du monde. Les grands fabricants sont tous là, Chrysler, Ford, Nissan, Toyota, Volkswagen. La construction aéronautique a suivi. L’immobilier a accompagné les flux industriels. Une forêt de tours a fleuri sur le paseo de la Reforma au cœur de la capitale mexicaine et en bien d’autres lieux.

Le Mexique a-t-il fait une bonne affaire ? Les débats sont ouverts. Peu compétitive, son agriculture a souffert. Les paysans ont été poussés à l’émigration vers les États-Unis, faute de pouvoir continuer à vivre dans leurs villages. La croissance économique a été médiocre de 1995 à 2017, autour de 2 % par an. Le marché de l’emploi n’a pu, dans ces conditions, répondre à la demande. La délinquance a explosé. Elle offre en effet travail et argent à beaucoup d’oubliés sociaux. Et avec elle les violences de toutes sortes. Elles n’épargnent désormais plus personne. Ni les journalistes, ni les représentants du clergé, ni les candidats aux élections.

Les États-Unis ayant dénoncé ce qu’ils avaient cautionné, les candidats aux présidentielles mexicaines du 1er juillet prochain sont tous aujourd’hui des « Alenistes ». Et chacun fait ses comptes d’apothicaire sur ce qu’il est possible de lâcher pour préserver l’essentiel. Pourcentages des pièces nord-américaines entrant dans la fabrication de véhicules, mécanismes de solution des controverses, clause « Sunset » – de révision automatique du traité tous les cinq ans -, niveau des salaires et droit du travail, propriété intellectuelle, entraves commerciales – dites « techniques énergie »-, télécommunications, textiles… « Les discussions sont difficiles », a publiquement reconnu Ildefonso Guajardo, Secrétaire d’État (ministre) à l’économie mexicaine. De fait, elles ont été interrompues par le départ inopiné des négociateurs nord-américains de la corbeille pièces automobiles.

Le pire étant dans l’ordre du probable, parallèlement à ces négociations, les différents acteurs se préparent à faire face à l’échec. Les industriels nord-américains de l’automobile se disent prêts à rapatrier leurs emplois et leurs chaînes de montage. Sans attendre, Chrysler-Fiat a déjà annoncé qu’il allait désormais fabriquer ses camionnettes Ram aux États-Unis. Les fabricants Polaris (véhicules tous terrains) et Lear (pièces automobiles) ont signalé des intentions identiques. Mais pour d’autres, la perspective de ce rapatriement d’activités est un cauchemar. Les prix de vente à la consommation augmenteraient. Ce qui affecterait la consommation et la croissance des États-Unis. Les Mexicains de leur côté multiplient les sorties de secours. Ils négocient tous azimuts avec les asiatiques, européens, latino-américains afin d’amortir en amont le choc de la dénonciation de l’Alena par Washington.

Les deux chefs d’État, Enrique Peña Nieto et Donald Trump devaient se rencontrer à l’issue de ce septième cycle de négociations. Pour essayer de « recoller les morceaux ». La rencontre bilatérale programmée initialement le 31 janvier 2017 avait en effet été annulée suite aux tonitruantes déclarations du président des États-Unis sur la construction d’un mur à la frontière sud, payé par le Mexique. Hormis un bref tête à tête à Hambourg en marge du G-20, la perpétuation d’une quasi guerre froide a empêché toute entrevue. Le projet de rencontre prévu en février est tombé à l’eau pour les mêmes raisons qu’en janvier 2017. Dans l’attente, deux des signataires de l’ALENA, George Bush et Carlos Salinas de Gortari ont organisé à Houston, le 27 février 2018, une sorte de commémoration, sur un mode anciens combattants.

Jean-Jacques KOURLIANDSKY