Accusé de corruption, le président de la République du Pérou, Pedro Pablo Kuczynski, évite la destitution 

Les ravages de la corruption de la firme brésilienne Odebrecht en Amérique latine atteignent les plus hauts niveaux des États : le président du Pérou, Pedro Pablo Kuczynski aurait reçu des millions de dollars pour favoriser la firme Odebrecht dans de grands chantiers d’infrastructures. Une procédure de destitution a été lancée contre lui par une opposition fujimoriste elle-même soupçonnée. Tous les présidents péruviens sont-ils impliqués ? Le Congrès a finalement rejeté la destitution.

Photo : Pedro Pablo Kuczynski/Topsi.com

Odebrecht, le grand corrupteur

Dans le cadre du scandale de corruption Odebrecht-Petrobras au Brésil, il apparait que cette entreprise BTP a corrompu de (très) hauts fonctionnaires dans une douzaine de pays latino-américains. Cette entreprise payait des pots-de-vin généreux à ces fonctionnaires pour qu’ils lui octroient de juteux contrats pour la construction d’infrastructures telles que routes et ponts. Le président de cette entreprise, Marcelo Odebrecht, a été arrêté au Brésil et condamné à 19 ans de prison. Pour diminuer sa peine, il a, dans le cadre d’une loi dite du « délateur récompensé », fait des révélations fracassantes mettant en cause des dizaines de fonctionnaires latino-américains. Les quatre derniers présidents péruviens ainsi qu’une candidate aux élections présidentielles de 2011, sont impliqués.

Pour sauver sa peau, Jorge Barata dit tout

Directeur exécutif de Odebrecht au Pérou depuis 12 ans, le Brésilien Jorge Barata a d’abord fait des aveux détaillés aux juges de son pays, puis à des juges péruviens qui se sont déplacés au Brésil. M. Barata a dit que Odebrecht avait donné des pots-de-vin à deux anciens présidents : 3 millions de dollars pour la campagne électorale de Ollanta Humala en 2011 (élu) et 20 millions au président Alejandro Toledo pour obtenir le contrat de la Route Interocéanique qui doit relier la côte Atlantique du Brésil à la côte Pacifique du Pérou. Il avoue aussi avoir financé la campagne électorale 2011 de la candidate Keiko Fujimori à hauteur de 500 000 dollars (battue aux élections), avoir engagé l’ex président Alan García comme conférencier grassement payé suivi d’un pot-de-vin de 8 millions lié à la construction de la Ligne 1 du métro, et 4,8 millions au président Pedro Pablo Kuczynsi (connu comme «PPK») lorsqu’il était ministre de l’Economie du président Alejandro Toledo.

Un président acculé à la destitution

Les documents montrent que Odebrecht versait alors au ministre Kuczynski l’argent sur les comptes de deux entreprises : l’une, Westfield Capital, dont « PPK » était seul propriétaire ; l’autre, First Capital, appartenait à Gerardo Sepúlveda, un ami chilien du président dont l’entreprise était domiciliée à la même adresse que Westfield à Miami ! La corruption concerne plus particulièrement la construction de la Route Interocéanique, le dossier dit IIRSA. Une procédure de destitution a été lancée début décembre contre M. Kuzcynski par l’opposition menée par Keiko Fujimori, fille de l’ex-dictateur Alberto Fujimori. Le fujimorisme est lui-même visé par des accusations de corruption, raison pour laquelle il cherche à faire tomber le gouvernement, forcer des élections qu’il estime (probablement avec raison) pouvoir gagner et ainsi se mettre à l’abri de poursuites. Légalement, si M. Kuczynski est destitué par le Congrès, il est remplacé par le vice-président Martín Vizcarra, actuel ambassadeur au Canada (on dit qu’il est déjà en train de faire ses bagages !) jusqu’en 2021. Mais le fujimorisme fera tout pour provoquer de nouvelles élections présidentielles et sauver le parti et son chef Keiko Fujimori de problèmes judiciaires pour corruption.

Le Congrès vote contre la destitution

Ce jeudi 21 décembre, en une session marathon de plusieurs heures, le président Kuczynski a basé sa défense sur un avertissement : « Le fujimorisme organise un coup d’État ». De fait, Keiko Fujimori a prévenu qu’en cas d’élections et de victoire de son parti, elle remplacerait les membres de la Cour suprême et du Conseil constitutionnel par des gens à elle, de manière à contrôler tous les rouages de l’Etat. Plutôt que de répondre aux accusations de conflit d’intérêt dans ses rapports avec Odebrecht, M. Kuczynski a insisté sur « les intentions golpistes du fujimorisme qui annoncent une nouvelle dictature… » Plusieurs députés des partis de gauche (Front Elargi et Mouvement Nouvelle gauche) ont déclaré : « Nous sommes contre la corruption du président mais aussi contre le golpisme fujimoriste ». Le message a été entendu : 79 voix pour la destitution, 19 contre et 21 abstentions. Il en fallait 87. PPK restera président avec tous ses millions… La corruption a décidément bien pourri la politique en Amérique latine.

Jac FORTON